PORTRAIT : Gérard Tribou, « le vélo, ma thérapie »

Président de l’AC Amiénoise, Gérard Tribou ne se contente pas de gérer son club. Il est devenu sur le tard un forçat de la route, adepte des cyclosportives au long cours. Sa façon d’honorer la mémoire de sa fille.

Le compteur de son vélo affiche trois Paris – Nice Cyclo ou les 650 km de Bordeaux – Paris en 24h !! Gérard Tribou a encore de bonnes jambes à 74 ans. Président de l’AC Amiénoise depuis 2012, il a bouclé son 3ème Paris – Nice Cyclo, en juin dernier. Accompagné pour la première fois par Claudine, son épouse, dans une voiture suiveuse.

Claudine et Gérard Tribou, dans les locaux de Gazette Sports à Amiens.

Que sa femme puisse le suivre, c’était la condition, le cadeau pour leurs noces d’or de 2020, reportées à cause du Covid. Et Claudine n’est pas restée les bras croisés : “J’ai donné un coup de main, pour la préparation des plateaux repas du ravito, pour faire le café etc.”  “On a l’habitude, on est bénévoles” s’exclame Gérard !

S’il s’est lancé à fond dans le vélo, c’est suite à un drame : la perte de leur fille unique, Hélène. Également cycliste, elle s’était s’engagée dans l’Armée, « l’aéronavale » précise-t-il, quand elle a succombé à un accident, percutée par un chauffard. Elle avait 23 ans. Le pire qui puisse arriver à des parents s’est produit le 6 septembre 1997, “le jour des obsèques de Lady Diana à Londres” confie Gérard. Ses yeux s’embuent, ceux de Claudine aussi…

Et pourquoi lui rendre hommage avec Paris – Nice Cyclo ? « La première année, c’était pour les 20 ans du départ de notre fille. On voulait lui donner ça… Une expérience unique, sensationnelle, une organisation au top ! Une cyclo sans classement, tout le monde roule à son rythme même s’il faut rentrer dans les délais. On était 180, traités comme des pros pendant 10 jours. Je remercie l’organisateur, André Leroux, un type exceptionnel, qui nous a malheureusement annoncé en 2022 qu’il arrêtait. Il a le même âge que moi.
Sinon, la moyenne, c’est la cinquantaine, donc pas que des retraités. J’ai réussi à emmener deux copains avec qui je roule le dimanche, Christian et Alain, du club de Saleux. Et Yves, un ancien médecin d’Abbeville, avec qui j’avais partagé la chambre en 2019. Donc on était un groupe de 4. Il y avait même un tandem, des gens de Normandie extra ! Ça crée des liens, on reste en contact. »

Y avait Gérard, y avait Christian, y avait Alain et Yves. Et puis Claudine (…). On se sentait pousser des ailes à bicyclette…

« 30 km/h pour des cyclos, c’est pas mal… »

Si « pour nous, cyclistes de Picardie, les trois premières étapes, c’est du gâteau, sur du plat », le tracé est plus dur que Paris – Nice pro selon Gérard. « Je ne sais pas où il va chercher ses parcours, M. Leroux, mais il nous fait découvrir des petits cols casse-pattes ! Certaines étapes on ne rigole pas… Jusqu’à 180 km, 8 ou 9h de vélo. Fontainebleau – Bourges, Vichy, Bourg-en-Bresse, Annecy, Villard-de-Lans, L’Alpe d’Huez quand même, Les Saisies, Orange, Gréoux-les-Bains, égrène fièrement Gérard.

Publicité

1500 km en 10 jours, avec 26 000 m de dénivelé positif ! Départ à 7h – 7h et demie. Au bout de 60 bornes, une collation. Vers 12h30 – 13h, un plateau repas et il ne faut pas trop s’attarder, dit-il en vieil habitué. Car après, il reste 60 ou 70 bornes, jamais les plus faciles. Les derniers km sont neutralisés, les premiers attendent les derniers comme il n’y a pas de classement. Même s’il y a toujours des extra-terrestres qui y vont à fond ! En 2022, les premières étapes, ça roulait quand même à 30 km/h de moyenne. Pour des cyclos, c’est pas mal… » 

“Et en plus, il y a eu la canicule en juin, se souvient Claudine. Il a souffert pas mal de la chaleur.” L’intéressé confirme avoir « perdu 3 kg. Habituellement je n’en perds pas, mais on a tellement bu et mal mangé aussi, parce qu’on n’avait pas faim avec cette chaleur… Le meilleur repas, ça reste le soir, toujours dans des hôtels au top. »

La Vache qui rit pour rester en forme…

De ses trois Paris – Nice, quel est son souvenir le plus fort ? « La cime de la Bonette (sommet du Mercantour, ndlr), en 2019, à la veille de l’arrivée. C’est un monument : 23 km de montée à environ 8%, la fin dans la neige à 2800 mètres. Vraiment, c’était exceptionnel ! Je n’avais jamais pédalé à une telle altitude, on le sent au niveau du souffle. Puis une descente sur une route très étroite et pas fermée à la circulation. Donc pas question de jouer le fanfaronclaironne Gérard Tribou.

Certes, il est en excellente forme pour quelqu’un de son âge, mais de là à pédaler toute la journée pendant 10 jours… « Pour ne rien vous cacher, j’ai pris un coach, Mathieu Jeanne, entraîneur de l’équipe de France de cyclisme handisport. Il est amiénois, c’est un garçon super ! La première année, il m’a fait perdre 9 kg en 6 mois. Et je ne les ai pas repris, je continue en mangeant ce qu’il faut quand il faut. Et avec des sorties à vélo bien typées, 2 à 3h, avec du cardio. La fréquence de pédalage, 90 tours/min à mon âge, c’est parfois difficile. Ce qu’il faut, c’est la ténacité. Si la tête va, les jambes suivent. »

À tel point qu’il a dans le viseur Bordeaux – Paris 2024, car l’édition de cette année est reportée. « Ce serait mon 2ème (avec 650 km à boucler en 56h maxi, ndlr). Je compte bien que Claudine joue encore l’assistante. Le premier, en 2014, j’ai mis 24h et 20 min. Les plus rapides mettent 20h. On part à 6h du matin. J’ai d’abord fait 330 bornes sans m’arrêter. Puis je me suis posé une heure, pour manger, me changer et repartir au sec après un petit somme. Sur la fin, un peu avant le lever du jour, vers 4h du matin, c’est difficile. J’ai vu des sangliers qui traversaient… Mais le plus dur, c’est la vallée de Chevreuse, avant l’arrivée au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines qui venait d’ouvrir. »

D’ici 2024, Gérard va évidemment enfourcher son vélo : « On a prévu un séjour à Nantua du 26 au 31 mai, avec la Cyclo La Vache qui rit, au départ de Lons-le-Saunier. C’est le Jura, pas les Alpes, mais 155 km et pas sur du plat » prévient-il. « Je serai avec mes copains Alain et Christian et aussi avec Éric Roussel, le président du club de Saleux. Il a fait 18 000 km l’an dernier et moi 13 000 ! Il est plus jeune, il pourrait être mon gamin mais c’est un grand baroudeur ! »

Et l’an prochain, à 75 ans bien sonnés, sera-t-il l’heure de raccrocher son vélo ? « Non, jamais ! Juste des sorties moins longues. C’est ma seule thérapie, ça m’évite beaucoup de médicaments et c’est meilleur pour la santé. » Hélène peut être fière de son papa. 

Vincent Delorme
Crédits photos : DR (Gérard Tribou) et Vincent Delorme – Gazette Sports  

L’AC Amiénoise compte aujourd’hui une soixantaine de licenciés, un chiffre en baisse. "On aimerait retrouver notre rythme de croisière d’avant Covid, 50 victoires sur l’année, indique Gérard Tribou. On en a eu 39 en 2022, c’est pas mal vu les courses annulées. Mais le gros problème pour la plupart des clubs, c’est le manque de jeunes coureurs. Je pense qu’ils ne veulent plus se faire mal.
C’est inquiétant pour l’avenir du vélo. Il ne faut pas oublier que l’élite vient de la base. L’une des solutions serait d’avoir plus d’éducateurs, mais ça représente un coût et les clubs n’ont souvent pas les moyens. Heureusement nos sponsors se sont réengagés pour un partenariat de 3 ans" se félicite-t-il. L'AC Amiénoise a renouvelé du coup les équipements (12 000 €), soit un investissement de 200 € par coureur.
V.D.

Leave a Comment

Your email address will not be published.

Start typing and press Enter to search