PORTRAIT : Matis Rifflet, les pieds sur les pédales, la tête dans les étoiles

Adolescent amiénois et coureur cycliste, Matis Rifflet est suivi par des équipes professionnelles. Il va vite au sprint, a du caractère et court pour un club nordiste après avoir été champion de Normandie minimes. Comme si la Somme était déjà trop petite pour lui…

Il aura seulement 16 ans cet automne, l’âge de tous les possibles. Il a les dents longues – « je suis conscient de mon niveau » – mais de la retenue quand il parle de lui, à voix basse. Pas question de pousser dans les orties ses deux frères, un petit et un grand, ni son cousin, tous également cyclistes. Matis – « sans H après le T » – Rifflet a enlevé les roulettes de son premier vélo dès l’âge de… trois ans ! Belle précocité pas démentie depuis, car l’ado a « la pancarte » comme on dit dans le peloton. Comprenez que sur les courses régionales, il est souvent le favori : « je suis très marqué, c’est pénible. Mais j’arrive à gérer parce que c’est comme ça depuis que je suis tout petit » dit-il timidement mais avec aplomb.

« Le cyclisme, c’est mon choix. Mais j’ai hésité avec la boxe et surtout avec le foot. »

S’il en est là, au départ c’est la « faute » à Éric Rifflet… « Mon père, enfant, était fan de vélo. Il regardait le Tour de France à la télé et il allait aussi voir le Prix Jean-Renaux (NDLR : critérium professionnel) chaque année à Amiens. Tout le monde aimait le vélo dans la famille mais personne n’en faisait en club. Mon père est le premier à s’être lancé quand il avait 15 ou 16 ans. Ses frères, mes oncles, ont suivi. Jérôme et Stéphane ont même été semi-pros, à Nogent et à Rouen en DN1. »

Matis a-t-il du coup suivi la tradition familiale par obligation ? « Non ! C’est mon choix. J’ai hésité avec la boxe et surtout avec le foot. Mais mon père me parlait beaucoup de Bernard Hinault. Ma grand-mère, avant de décéder, me parlait de Poulidor aussi. Et puis ça m’a plu de voir courir mon grand frère, Théo, alors j’ai dit : je veux en faire ! J’ai eu mon premier vélo et c’était parti… Il y avait une grosse rivalité à l’entraînement avec lui. C’est grâce à Théo, je pense, que je suis à ce niveau-là aujourd’hui. J’essayais d’être plus fort alors qu’il a quand même trois ans de plus que moi ! »

Quant au choix de Matis Rifflet de courir dans des clubs des départements voisins, il est dû également à son fameux aîné… « Il est parti au VC Rouen quand il était cadets 1, à l’époque où je courais à Abbeville. Et en minimes, je l’ai rejoint, c’était plus simple à gérer pour nos parents. Puis il a été recruté par l’Olympique Grande-Synthe (NDLR : à côté de Dunkerque) donc je l’ai encore suivi, comme ça on revenait aussi dans les Hauts-de-France parce que je courais en Normandie sans me sentir normand, alors ça me faisait bizarre d’être champion de Normandie minimes. »

Un vélo offert par Marc Madiot

Depuis le début de la saison, sa perf la plus marquante est une 4ème place, à Tours, à l’arrivée d’une manche du Trophée Madiot. Quant à ses cicatrices au bras gauche, c’est le souvenir de sa grosse chute aux championnats des Hauts-de-France, fin juin. « Je n’ai jamais rien eu de cassé. Mais il y a un an, j’ai eu une petite commotion, sur la manche du Trophée Madiot, à Renazé, en Mayenne, alors que j’étais devant, à 1 km 500 de l’arrivée. Dans un virage, un coureur s’était resserré sur moi » et Matis Rifflet avait tapé le trottoir… et dans l’oeil des organisateurs. L’équipe Groupama – FDJ de Marc Madiot lui offre un vélo, « mais sans rien me faire signer » dit-il, comme s’il tenait à sa liberté.

Matis aime-t-il jouer à se faire peur ? « C’est vrai que je suis hyper casse-cou ! Frotter (*), j’aime ça ! Je suis amoureux du sprint ! » En revanche, pédaler seul contre lui-même n’est pas son truc, surtout quand il fait très chaud, comme le 13 juillet à Renazé où il a terminé à plus de 3 min 30 sec du vainqueur d’un chrono de 17 km, comptant pour le Trophée Madiot, équivalent d’une Coupe de France des cadets : « le contre la montre, c’est là où je dois m’améliorer » reconnaît-il.

Le 13 août, Matis Rifflet sera au départ du championnat de France sur route, en Normandie et la semaine suivante, sur le vélodrome en plein air de Hyères (Var) pour les championnats de France sur piste, « car je fais de la piste en complément de la route, pour avoir de la compétition. L’hiver, j’ai d’abord fait du cyclo-cross, j’ai été champion des Hauts-de-France minimes, mais j’ai arrêté car ça demande beaucoup de matériel, plusieurs vélos et ça revenait cher. J’ai basculé sur la piste l’hiver dernier et c’est pas plus mal, comme je suis plus sprinteur. Ça me correspond bien, j’ai tout de suite eu des résultats, donc je suis sélectionné pour les championnats de France cadets. »

« Chez les pros, pour moi, il y a des coureurs propres et d’autres non »

Sprinteur davantage que rouleur, même si Matis Rifflet peut « gagner une course tout seul, comme en région parisienne cette année. Une belle course, je me suis échappé à la fin. Je peux tenir seul devant un peloton mais j’ai du mal à faire de bons chronos. Le contre la montre, c’est pas trop mon truc, même si j’en ai déjà gagné un. » La montagne encore moins ? « Je suis assez complet quand même, avec un bon rapport poids-puissance. Je suis sprinteur, mais quand ça monte, si je suis avec un coureur d’Auvergne-Rhône-Alpes, plus habitué, je ne vais pas le battre, mais j’arrive quand même à me débrouiller. »

La solution mobilité de Matis Rifflet à Amiens, c’est le vélo… électrique en location !

En passionné de vélo, Matis Rifflet regarde évidemment le Tour « depuis tout petit et bien sûr en ce moment, à la télé dans le salon ou sur mon téléphone. Je peux aussi écouter l’étape à la radio, en voiture. Mais mon père le suit moins que moi maintenant. » Sa première idole sur la Grande Boucle a été Mark Cavendish, le sprinteur britannique détenteur, avec Eddy Merckx, du plus grand nombre de victoires (34 étapes). « Je ne regardais pas les étapes de grimpeurs (sic). » Et dans la jeune génération, le jeune Amiénois est fan du Belge Remco Evenepoel, « même s’il n’est pas sprinteur et qu’il ne fait pas le Tour. C’est mon fond d’écran partout ! J’aime bien son style, il n’a que 22 ans : c’est un petit arrogant, il est passé pro à 18 ans, il faisait du foot avant. Je l’ai vu s’échauffer lors d’une manche du Trophée Madiot, car les pros couraient après nous » raconte Matis, les yeux qui brillent.

Et c’est toujours chez nos voisins flamands que le petit Picard qui sprinte trouve ses coureurs préférés du Tour 2022 : « Wout Van Aert, Mathieu Van Der Poel. Sinon Tadej Pogacar. J’avais regardé l’étape de La Planche des Belles Filles, en 2020 quand il prend le maillot à Roglic, à la veille de l’arrivée. J’étais comme un fou devant la télé (rire) ! Je préfère Pogacar, son style et il est plus jeune » sourit Matis Rifflet, qui, en passant, a un avis bien tranché pour un garçon de son âge sur l’absence de Français au palmarès du Tour depuis Bernard Hinault.

L’explication de Matis Rifflet sur les 36 dernières éditions du Tour de France sans vainqueur tricolore :

On sent qu’il regrette de ne pas avoir profité d’un rythme d’entraînement plus soutenu depuis ses débuts, mais les choses devraient s’accélérer « l’année prochaine, en juniors : il y a aura plus de stages, je vais partir en Espagne. En plus, je suis suivi par quelques équipes, françaises et étrangères, pour rentrer peut-être dans une réserve » dit-il sans fanfaronner ni dévoiler les noms de ces « deux anciens pros qui suivent les courses de jeunes dans la région » et donc son petit bonhomme de chemin personnel.

En attendant, Matis Rifflet rentrera en septembre en 1ère STMG, donc Technologie, au lycée Robert de Luzarches, à Amiens, juste à côté de chez lui. « Je veux mon bac, c’est tout » lâche-t-il en soupirant. Avant d’expliquer être quand même motivé par « STAPS après, pour être dans le management du sport. » Mais à le regarder, on sent bien que passer pro est l’objectif. « J’en connais, de la génération de mon frère, qui sont passés pros à 18 ans et qui arrivent à en vivre » dit-il en se projetant un peu, beaucoup, passionnément…

Celui qui est présent sur tous les réseaux sociaux argumente : « Tu pars dans une échappée sur le Tour, tu peux être plus connu que pour tout ce que tu as fait le reste de ta carrière, surtout pour un Français. » Question : « Donc ce qui te motives, c’est d’être célèbre ? » Réponse (sans hésiter) : « Non ! C’est l’ambiance du Tour. En 2019, quand Julian Alaphilippe était maillot jaune, j’ai suivi les étapes au bord de la route pendant une semaine. J’étais avec un pote et son père, dans un van. On a fait le Ballon d’Alsace. On faisait les départs et les arrivées et on se posait parfois sur le parcours pendant l’étape, c’était incroyable ! »

Il court au plus haut niveau régional, s’aligne sur quelques courses nationales, a vu le Tour de France de près… Matis Rifflet croit-il à un cyclisme sans dopage ? « Personnellement, je n’ai jamais été contrôlé, déjà. On n’en parle pas du dopage, en fait. Dans les courses que je fais, je ne pense pas que certains essayent de jouer avec ça aussi jeunes. Mais l’an prochain, en juniors, je pense qu’il y aura des contrôles. Chez les pros, pour moi, il y a des coureurs propres et d’autres non. Mais Français ou étrangers, ils sont tous au même niveau. S’il y a du dopage, je pense que sans, la hiérarchie serait la même. Juste, ils rouleraient moins vite » dit-il, comme s’il avait déjà perdu quelques illusions.

Pogacar et Evenepoel en modèles, le Samarien licencié dans le Nord fait son âge, soudain, quand il reconnait qu’il « aime bien [s]’identifier aux champions. Dans la région, les gens qui suivent les courses disent que j’ai un peu le style de Van Der Poel », le Néerlandais, petit-fils d’un certain Raymond Poulidor. De là-haut, c’est la mamie de Matis Rifflet qui doit apprécier la comparaison…

Vincent Delorme
Crédit photos : DR (Maïté Corriette, Sportenphoto), Léandre Leber et Vincent Delorme – Gazette Sports
(*) : frotter est un terme du jargon cycliste qui signifie se heurter, volontairement ou non, entre coureurs afin de passer devant.

Matis Rifflet en bref
Né le 9 octobre 2006 à Amiens. 1,79 m 65 kg. 
Clubs : Olympique Grande-Synthe depuis janvier 2021 après VC Rouen 76 en 2019 et 2020, EC Abbeville en 2018, AC Ailly-sur-Somme et Villers-Bretonneux.
15ème au classement général provisoire du Trophée Madiot 2022 (4ème de la manche de Langeais - Tours)
Champion du Nord cadets 2022 
Vainqueur du Prix de la Hotoie cadets 2022, à Amiens 
11ème du classement général final du Trophée Madiot 2021 et 3ème de la manche de Nogent-le-Bernard (Sarthe)
Champion de Normandie minimes route + clm en 2020 etc.
V.D.

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