MIXITÉ : « Transformer la façon dont on accompagne les femmes qui s’investissent »

Marie-Françoise Potereau est l’une des personnalités clé du sport féminin en France : à la fois vice-présidente de la Fédération française de Cyclisme en charge de la féminisation, du CNOSF et de Paris 2024 chargée de la mixité, celle qui a couru le Tour de France féminin dans les années 1980 ne compte plus ses casquettes au service des sportives.

La renaissance du Tour féminin, c’est dans quelques jours : le Tour de France Femmes s’élancera le 24 juillet entre la Tour Eiffel et les Champs-Elysées, le jour de l’arrivée du Tour dans le même cadre mondialement admiré…

Le retrouver, c’est une forme d’aboutissement mais j’espère déjà voir une évolution ces prochaines années. J’ai vécu le vrai Tour de France (sic), dans les années 80, avec les étapes le même jour que les hommes, la même ligne d’arrivée franchie quelques heures avant, avec juste des étapes qui étaient plus courtes. On avait une belle visibilité. Pour en avoir discuté avec Christian Prudhomme (NDLR : le directeur du Tour de France), ce serait compliqué aujourd’hui à cause des autorisations pour la fermeture des routes, la circulation est plus importante que dans les années 1980. Et compliqué aussi pour les moyens techniques. Mais j’espère qu’on arrivera à quinze jours de course, dans un deuxième temps, après les huit jours de cette année.

Des souvenirs personnels remontent forcément ? Vous aviez terminé 2e d’une étape en 1984, battue au sprint

Bien sûr, c’est un merveilleux souvenir… Porter le maillot tricolore, car on courait à l’époque avec des équipes nationales, on était fières ! Si vous interrogez l’actuelle championne de France, Audrey Cordon Ragot, elle vous dira que porter ce maillot a de la valeur. On profitait en plus du public des hommes et c’était un vrai défi de tenir trois semaines mais, excepté sur chutes ou blessures, il y avait eu très peu d’abandons.

« Tout ce qui n’est pas vu n’existe pas »

Marion Rousse va permettre « une visibilité » du Tour Femmes se félicite Marie-Françoise Potereau.

La directrice du Tour Femmes, Marion Rousse, incarne-t-elle bien les valeurs que vous portez depuis toujours ?

Oui, elle a été coureure – je défends l’écriture inclusive – et elle est consultante sur France Télévisions pendant le Tour depuis plusieurs années. Tout ce qui n’est pas vu n’existe pas, comme je dis toujours et Marion permet une visibilité, donc c’est bien.

Les prix attribués sont-ils suffisants ? 

On fait une semaine de course avec le Tour Femmes, si un jour il passait à trois semaines, il faudrait que les prix soient équivalents. Ce ne sont pas les mêmes distances non plus. On est vigilant à ce traitement égalitaire, il y a une prise de conscience, on y travaille. Il faut profiter davantage de la vitrine que devient le Tour Femmes.
Les JO sont la seule compétition où le traitement est égalitaire. Quand Laure Manaudou, Laura Flessel, Sarah Ourahmoune ont gagné des titres ou des médailles olympiques, les clubs ont été obligés de refuser des filles, faute de places, tellement elles étaient nombreuses à vouloir s’inscrire, à cause du phénomène « Vu à la télé »…

En politique, regardez, on a désormais une 1ère Ministre. Ainsi qu’une femme présidente de l’Assemblée Nationale pour la 1ère fois !

Le championnat cyclosport UFOLEP de la Somme s’est déroulé avec une course mixte, en mai dernier.


Mais pour revenir au sport et à l’amélioration de la visibilité de la pratique féminine, la communication sur les réseaux sociaux est essentielle, ce sont ceux de la jeunesse. Dans ce contexte, à la Fédération française de cyclisme, on a créé Vivre Vélo au Féminin, un collectif d’ambassadrices, elles ont toutes un compte Facebook piloté par la FFC : elles organisent le week-end en régions des rassemblements de femmes, jeunes et moins jeunes.

« On me demandait si j’étais la kiné ou la femme du président… »

Le sport peut-il donner l’exemple en terme de mixité, voire de parité, à la société dans son ensemble ?

Donner l’exemple, c’est un grand mot parce que le monde de l’entreprise avait pris les choses en main avant, le sport était un peu en retard, mais il y a une accélération, sous la pression des lobbies européens, en vue des JO 2024, qui seront égalitaires. Dans le cyclisme, on développe ça, ce qui veut dire notamment un contre la montre mixte avec deux hommes et deux femmes. Concrètement, les deux garçons courent, puis les deux filles et on fait le cumul des temps. Le principe a été testé à Beauvais (NDLR : en 2019), lors des championnats de France de l’Avenir, donc en juniors. C’est plus l’impact sociétal que je retiens, avec les garçons qui une fois arrivés, encourageaient les filles qui couraient. Ils ont appris à s’entraîner puis à performer ensemble. Et il y a aussi un chrono mixte aux Mondiaux sur route.

Vous avez, tout au long de votre parcours, réussi à faire avancer la cause des femmes dans le sport, comme en devenant par exemple la 1ère femme directeur sportif d’un club cycliste, à Annemasse, en 1990 : pourquoi ce combat ? 

Le président du club avait dit : “je tente ma chance en prenant une femme”, c’était d’ailleurs le titre dans le journal régional. J’arrivais sur les épreuves, on me demandait si j’étais la kiné ou la femme du président… Mais pour les coureurs, à part quelques blagues, ça leur donnait de la visibilité, ils étaient plutôt contents !

En regardant la situation d’il y a trente ou quarante ans, si vous la comparez avec aujourd’hui, que dites-vous ? 

Dans le cyclisme, il y a des femmes directrices sportives, comme Charlotte Bravard, chez Saint-Michel Auber 93, une équipe Continental. Mélanie Briot a encadré des équipes de N1 (NDLR : et elle est désormais directrice sportive de Sojasun Espoir), Cathy Moncassin est, comme moi, vice-présidente de la FFC. La dynamique est enclenchée.
Le problème, c’est de rendre ces métiers plus facilement accessibles aux femmes, c’est un sujet sur lequel je milite au CNOSF, l’harmonisation des métiers, parce qu’il faut beaucoup se déplacer, y compris le week-end et ça pose souvent problème. Personnellement, je n’ai pas eu d’enfants et toujours eu la liberté de faire ce que je voulais. Alors on aide les femmes qui veulent aller vers ces métiers en finançant des formations diplômantes. 
C’est un vrai sujet, et pas que dans le cyclisme. En plus, le temps de la maternité peut vous éloigner, donc on y travaille. Le congé parental améliore surtout la situation des femmes qui ont de hautes responsabilités. Et on est en tension sur certains métiers, comme mécaniciennes. Donc on a tourné des vidéos, qui montrent une directrice sportive, une mécano, une cadreuse, pour rendre visible ces métiers au féminin. La natation a le même problème.

« En 1999, Marie-George Buffet m’avait dit : le combat ne s’arrêtera jamais »


Un autre sujet prégnant est la manière dont les équipes cyclistes ont organisé leur fonctionnement, favorable aux hommes. Je vais vous dire pourquoi il n’y a pas de kiné femmes dans le vélo : les directeurs sportifs voudraient avoir la même kiné ou la même équipe de kinés toute la saison, alors la solution de facilité, c’est de prendre des hommes, car ils peuvent s’absenter plus facilement de chez eux. Il faudrait que les hommes refusent certaines choses qu’on leur demande…
Un indicateur de mixité a été mis en place à la FFC pour savoir où l’on en est. Et je le propose aux autres fédérations. Il faut montrer le chiffre pour se rendre compte si l’on est bon ou mauvais élève. C’est comme si on veut perdre du poids : sans balance, ça ne marche pas !

Pour ces métiers du sport, il faut transformer la façon dont on accompagne les femmes qui s’investissent.

Concernant la lutte contre le dopage, c’est un vieux combat, dans le sport en général. Le cyclisme a été le plus touché et le premier à se mobiliser, il y a déjà longtemps : êtes-vous vigilante au sujet de ce fléau chez les sportives, les cyclistes en particulier ?

On les traite de la même manière que les hommes, dès l’instant où les choses se professionnalisent, avec les enjeux financiers pour les marques qui sponsorisent. Aux derniers championnats de France sur route, les filles ont été contrôlées. Il faut un traitement égalitaire à tous les niveaux, aussi pour les primes, dans les courses nationales, on a tout régulé pour que ce soit le cas; on est poussé par une dynamique politique, le sport n’avance plus seul. J’ai assisté récemment aux Assises de la Parité. Il y avait des témoignages d’entreprises étrangères. Eh bien je dirais qu’on est dans le premier peloton, même si on pourrait essayer de rouler un peu plus vite (sourire).

Vous avez par ailleurs été, de 2010 à 2015, Directrice Technique Nationale adjointe à la FFHG et Amiens est une ville de hockey, avec les Gothiques. L’équipe de France féminine de hockey sur glace vient de monter dans l’élite mondiale. A Amiens, le club a une section féminine mais elle a du mal à recruter : à quoi vous l’attribuez ? Et savez-vous si le constat est identique ailleurs ?

Le mois dernier, le Hockey Club Amiens Somme a organisé une journée portes ouvertes pour attirer de jeunes joueuses.

Depuis trois ans, la Fédération a une femme comme DTN, Christine Duchamp (NDLR : ancienne joueuse internationale dans les années 2000, elle a été capitaine de l’équipe de France). Si la Fédération l’a choisie, c’est déjà une marque de confiance sur ses compétences et une bonne chose pour le hockey féminin. Maintenant, une anecdote révélatrice, à mon sens : j’ai remarqué récemment lors d’une opération portes ouvertes pour les féminines, à Caen, que des filles arrivaient et en s’apercevant, d’une qu’elles allaient devoir jouer avec les garçons et de deux, sans vestiaire pour elles, ça les décourageait et ça se comprend…
Aujourd’hui, il y a obligation de vestiaires séparés pour avoir des subventions d’Etat. Après, le hockey est un sport viril, de contact, alors toutes les filles qui veulent faire du sport ne sont pas forcément prêtes à ça, même s’il n’y a pas de mise en échec dans le hockey féminin.
Je pense bien sûr que le rayonnement de l’équipe de France peut attirer. Prenez l’exemple du club de Cergy, où je suis allée pour le départ de Luc Tardif
(NDLR : ancien président de la Fédération française élu l’an dernier président de la Fédération internationale de hockey) : il y a autant de filles que de garçons qui jouent au hockey ! Mais reste une promotion à faire, nationalement, pour rayonner ensuite sur les territoires.

Vous avez l’âge où beaucoup commencent à prendre leur retraite mais on sent que vous débordez d’énergie, d’envie de convaincre : vous avez toujours été comme ça ? Vous n’avez pas envie parfois de lever le pied ? 

Oui, j’ai 64 ans, mais je ne me sens pas vieille ! J’ai toujours été hyper battante, déléguée de classe quand j’étais élève pour commencer. Puis j’ai fait de la cause des femmes mon principal combat. Marie-George Buffet m’avait dit, en 1999, lors des 1ères Assises Femmes et Sport, alors qu’elle était Ministre de la Jeunesse et des Sports : “le combat ne s’arrêtera jamais !”. En effet, rien n’est jamais gagné.
J’ai pris ma retraite de conseillère interfédérale à la féminisation il y a quatre ans. Mais depuis, je m’engage complètement à la FFC. En plus, Brigitte Henriques, qui est depuis un an la première femme présidente du CNOSF, m’a confié des dossiers importants à suivre jusqu’en 2024
(lire ci-dessous). On doit se servir des Jeux Paris 2024 comme d’une aubaine pour le sport féminin.
J’ai envie d’engager de gros travaux pour féminiser davantage les métiers dont je vous parlais. J’aime travailler avec des jeunes. Et sa succession, il faut toujours la préparer en amont, pas à la dernière minute.

Propos recueillis par Vincent Delorme
Crédit photos : DR (FFC et UFOLEP) et Kevin Devigne (Gazette Sports)

Marie-Françoise Potereau en bref
Née le 21 mai 1958 à Aix-les-Bains
Actuellement : 
Vice-présidente du CNOSF et de Paris 2024, en charge de la mixité
Vice-présidente de la Commission des Comités olympiques européens, chargée de l'égalité des genres
Vice-présidente de la Fédération française de cyclisme (FFC)
Vice-présidente de l'association Femmes Mixité Sports (Femix'Sports)
Auparavant :
Monitrice de ski en Savoie
Cycliste professionnelle : elle court le Tour de France féminin à cinq reprises, dans les années 1980, avec l'équipe de France où elle est coéquipière de Jeannie Longo, trois fois victorieuse
1ère femme Cadre Technique Régionale à la FFC en 1998
DTN adjointe à la FFC de 2005 à 2009
DTN adjointe à la FFHG de 2010 à 2015
Conseillère interfédérale à la féminisation, au Ministère des Sports, de 2016 à 2018

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