PORTRAIT – Jeanne Lechevalier, un talent qui nage en eau claire

À seulement 15 ans, Jeanne Lechevalier impressionne déjà par sa précocité et sa fraîcheur. Entre performances prometteuses et équilibre personnel, la jeune Samarienne incarne l’avenir d’une natation française en quête de nouveaux talents, tout en restant fidèle à elle-même et à son environnement.

Et si la prochaine star de la natation française était samarienne ? La question pourrait venir naturellement à l’esprit de ceux qui suivent, même de loin, les performances de Jeanne Lechevalier. À 15 ans, elle survole sa catégorie d’âge et enchaîne les résultats impressionnants. Pourtant, pour ceux qui la connaissent de plus près, cette projection semble tout autant prématurée que décalée. Car Jeanne, elle, avance sans se laisser happer par l’enjeu. Ce qui la guide, c’est d’abord le plaisir, celui de nager, de s’amuser ou encore de progresser. C’est peut-être là, justement, que réside la force tranquille de ce talent en pleine ascension.

Aux sources d’une passion

L’aventure commence aux alentours d’Amiens, dans la petite municipalité de Béhencourt où Jeanne naît dans une famille de sportifs. Sa mère, volleyeuse, et son père, nageur, l’initient rapidement au sport. Ce qui la passionnera en premier lieu, c’est l’équitation, pratiquée près de chez son arrière grand-mère. Mais un autre sport attirera tout particulièrement l’attention de la jeune Picarde, celui dans lequel elle excelle aujourd’hui : la natation. Une décision doit être prise par Jeanne à l’âge de 10 ans : natation ou équitation le mercredi après-midi ? Son choix se dirigera finalement vers la première option. La discipline qu’elle testait pour apprendre à nager se mua rapidement en passion. Depuis, protégée et préservée de la pression qui aurait pu l’entourer, sa progression s’est faite naturellement, sur plusieurs années, guidée par la passion et le plaisir. Son entraîneur, Alexandre Legrand, au sein du centre de formation et d’accession (CAF) de l’Amiens Métropole Natation, témoigne d’ailleurs de cette évolution saine pour elle : « J’ai l’impression qu’aujourd’hui, elle a tellement été préservée qu’elle est un petit peu dans l’insouciance de la réalité de ses performances. Ce n’est pas qu’elle est inconsciente de ce qu’elle fait, mais je sais que le vrai parti pris de sa famille et son environnement, c’est qu’elle continue de s’amuser et de prendre du plaisir. »

C’est toute la fratrie Lechevalier qui baigne dans la natation. Un goût accentué pour les vagues qui vient sûrement d’Arnaud, leur père, ancien nageur mais surtout kinésithérapeute auprès de Laure Manaudou lors des Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Plusieurs de ses frères et demi-frères, anciens nageurs, sont passés par l’Amiens Métropole Natation. C’est le club de toujours de Jeanne Lechevalier, qu’elle a rejoint à l’âge de 8 ans. Avant d’y être, elle a fait ses premiers plongeons à 6 ans avec les bonnets jaunes de l’école de natation municipale, au Coliseum. La jeune nageuse se sent bien dans son club actuel, entourée de personnes qu’elle connait depuis son plus jeune âge. Un système de confiance qui lui permet aussi de s’épanouir, ce qui contribue grandement à l’enchaînement de ses très belles performances. « C’était le club le plus près de chez moi, étant donné que j’ai toujours habitée dans un village à côté de la ville. Mon père connaissait aussi des personnes au sein du Coliseum. […] Je me sens bien à l’AMN, je trouve que ça se passe bien, il y a des personne que j’avais rencontré à mes débuts que je vois toujours. Je m’entends aussi très bien avec les entraîneurs », déclare la jeune nageuse samarienne.

Jeanne Lechevalier, dans les locaux du CAF d’Amiens.

Entre ses cours et les entraînements au sein du centre, Jeanne a des journées chargées et intenses. Un lever très matinal aux alentours de 5 h 40, et un départ aux aurores quelques minutes plus tard depuis la maison familiale à une vingtaine de minutes d’Amiens, qui illustre sa rigueur et sa discipline : « Normalement, je devrais partir à 6 h 05, mais mon père retarde un peu du coup on part un peu plus tard… », sourit-elle. Début du premier entraînement de la journée sur les coups de 7 h 00, le temps de s’exercer deux bonnes heures avant la journée de cours. Une fois celle-ci terminée, ce sont sur leurs trottinettes électriques depuis le lycée Sacré-Cœur en centre-ville que Jeanne et ses compères d’entraînement reviennent dans les bassins de l’Aquapôle pour une nouvelle session, cette fois plus axée sur la compétition, comme la fameuse « séance d’allure » prévue le jeudi soir. « On est sur des allures de courses, où on va vraiment réitérer des efforts et des stratégies de courses, avec des intensités qu’ils vont vivre le jour de la compétition. Ils mettent une combinaison et vont faire beaucoup de fractionné. C’est sûr que ce sont des séances très intenses », avoue Alexandre Legrand. Dans tout cela, les soins sont aussi très importants avec la présence d’ostéopathes, de kinésithérapeuthes et même de préparateurs mental sur place. Un équilibre entre les cours et le sport que Jeanne vit bien, là où d’autres pourraient se sentir dépassés. Une bonne gestion aussi illustrée par sa réussite scolaire, et les compliments de son conseil de classe annoncés par Jeanne fièrement.

Si je prends du plaisir, tout viendra ensuite, la performance, les temps, les podiums.

Jeanne Lechevalier, nageuse au sein de l’AMN

Côté performances, l’année 2025 de Jeanne Lechevalier a commencé sur les chapeaux de roue avec un premier gros rendez-vous en terre bretonne, à Rennes, lors des Championnats de France de catégorie Juniors (14-17 ans). Sur six jours de compétition, la jeune Samarienne avait un programme chargé avec pas moins de 17 courses prévues, pour elle. Mais c’est aussi dans ces moments pleins d’intensité que Jeanne sait briller, autant que les quatre breloques dorées qu’elle a ramenées dans la cité amiénoise. Pas assez pour fatiguer la Béhencourtoise, qui a quand même pu profiter des trois jours de repos qu’on leur a octroyés. Des championnats très utiles dans le processus de préparation de la prochaine grosse échéance à venir pour Jeanne : les Championnats d’Europe Juniors en Slovaquie qui se tiendront du 1er au 6 juillet prochain. Mais lorsqu’on lui parle de ses potentiels objectifs ou de ses ambitions pour la compétition, la même réponse revient : « Je veux déjà passer un bon moment avec tout le monde, prendre du plaisir dans ce que je fais, quel que soit le scénario et ne pas avoir de regrets. […] Si je prends du plaisir, tout viendra ensuite, la performance, les temps, les podiums… » assure-t-elle.

Jeanne Lechevalier lors d’une course de nage sur le dos lors du meeting des Hortillons.

Ses performances justement, l’ont amenée à se spécialiser ou, du moins, à déceler ses forces et son domaine de prédilection. Dans le cas de Jeanne, les épreuves de nage sur le dos lui rapportent le plus de résultats et de médailles, pour l’instant. Mais il n’est pas forcément temps de se spécialiser ou de ne se concentrer que sur un type de nage et, pour son coach et elle, il est clair que continuer à jouer la carte de la polyvalence est important : « Je n’aime pas me concentrer que sur une seule chose, mais c’est sur qu’en ce moment, j’aime bien les épreuves de dos », assure Jeanne. Le discours est à peu près similaire pour son coach, même s’il est bien conscient que, si les performances de la Samarienne s’accentuent, la question devra être posée : « Dans notre philosophie à tous les deux, on ne cherche pas à se spécialiser. Quand elle aura 20 ou 25 ans et qu’elle jouera peut-être d’autres choses si elle décide d’aller jusque là, à ce moment oui peut-être qu’elle choisira de se spécialiser sur des distances et sur une nage plutôt qu’une autre. » Dans la même logique, au fur et à mesure des bonnes performances de l’adolescente picarde, les regards changent, mais Jeanne sait qu’elle doit rester à l’écart de tout cela et ne se concentrer que sur elle-même.

Mais comme chaque athlète, Jeanne Lechevalier a ses propres habitudes, ses propres superstitions qui peuvent parfois paraître futiles, mais qui ont pour elle une certaine importance. Un moyen d’enlever une certaine forme de pression avant les courses, de rajouter une dose de motivation pour atteindre les objectifs qu’elle se fixe. « En m’échauffant par exemple, si je sens que je nage vite à un endroit précis, je continue de m’échauffer à ce même endroit. Avec Malou (Douillard) au sein du club avec moi, on se fait des tapes du bonheur dans le dos avant chaque course de l’une ou de l’autre, ou dans la même idée, je fais énormément d’exercices de réflexe avec des balles de tennis avant les courses », raconte la jeune nageuse. Pourtant, malgré ces rituels bien ancrés, Jeanne Lechevalier n’affiche pas de véritable modèle de réussite précis, si ce n’est l’inspiration que lui apportent quelques grands noms du sport, comme la gymnaste américaine Simone Biles, ou le nageur français Jeremy Stravius qui a lui aussi nagé dans les bassins amiénois. Dans la même perspective, l’ombre des exploits de Léon Marchand qui plane au-dessus des nageurs et nageuses françaises, attire forcément l’attention de Jeanne qui étudie aussi la manière avec laquelle le Toulousain gère sa carrière : « Je trouve qu’il a une bonne mentalité, il a l’air de vouloir s’amuser avant tout. […] La couverture médiatique autour de lui, forcément ça fait un peu peur, mais après je pense qu’il est bien entouré donc ça n’est pas problématique pour l’instant pour lui. »

Jeanne Lechevalier, concentrée avant une course.

Des rêves mesurés

En 2028, Jeanne Lechevalier aura 18 ans. Une certaine Laure Manaudou avait, elle, fait ses premiers jeux à Athènes avec un an de moins. À l’aube des Olympiades dans la ville de Los Angeles, Jeanne et son entraîneur en sont bien conscients : mettre cette échéance de côté mais l’oublier n’est pas possible. Pour autant, ils ne souhaitent pas marquer cette compétition comme un objectif précis, préférant attendre le moment venu pour voir où en seront les performances de la nageuse samarienne et décider alors de la suite à donner. D’ici là, la saison 2025-2026 s’annonce charnière : elle devrait permettre de savoir si Jeanne peut prétendre à intégrer l’équipe de France A pour les Championnats de France Elite en petit et grand bassin et possiblement un championnat d’Europe par la suite dans la même catégorie, ou si elle poursuivra encore une saison dans la catégorie Juniors. Un choix déterminant que son entourage sportif prendra en fonction de sa progression. Alexandre Legrand insiste d’ailleurs sur l’importance de la préserver de toute pression inutile pour lui permettre de construire une progression régulière et durable : « La pression, on ne va pas se mentir, elle l’aura un jour. […] Aujourd’hui elle a peut-être déjà ressentie une certaine forme de pression, mais la grosse pression tant qu’on peut l’éviter ou la retarder, on le fera. L’expérience de son père avec Laure et Philippe Lucas son entraîneur de l’époque, qui était très dur avec elle, fait que ce sont des choses qu’ils veulent lui éviter le plus possible. »

En dehors des bassins, Jeanne Lechevalier veille aussi à s’accorder des moments de déconnexion, loin de la natation. Lecture, musique, instants partagés avec ses amis… autant de respirations essentielles à son équilibre, qui lui permettent de préserver son bien-être mental et d’aborder l’entraînement avec davantage de fraîcheur et de motivation. À son âge, cet équilibre entre exigence sportive et vie personnelle constitue un véritable atout pour sa progression. Et lorsqu’on lui demande où elle se voit dans dix ans, Jeanne Lechevalier esquisse un sourire avant de se projeter avec simplicité : « En lien avec mes études déjà… J’aimerais bien faire dans la kinésithérapie et l’ostéopathie, et que ça se passe bien. Peut-être la natation aussi bien sûr, mais c’est à voir au fur et à mesure. Mais c’est sûr que j’aimerais bien qu’il y ait mes études et la natation à côté. Après tout peut se passer en 10 ans. » Mais son jeune parcours comprend déjà de beaux souvenirs, à commencer par ses premiers championnats d’Europe Juniors en juillet dernier, une expérience marquante qu’elle garde en tête.

Une progression en eau calme

Alexandre Legrand, son entraîneur qui l’accompagne depuis plus d’un an.

L’évolution et la progression de Jeanne Lechevalier, c’est avant tout son coach qui en parle le mieux, Alexandre Legrand, qui suit la nageuse béhencourtoise depuis plus d’un an. « Elle a grandi, elle est devenue une jeune femme, même si c’est vrai que je la traite des fois de bébé et d’enfant pour l’embêter un peu, mais c’est devenu une vraie jeune femme. Elle continue de beaucoup s’épanouir, ce qu’elle veut avant tout, on le sent, c’est de prendre beaucoup de plaisir. Techniquement, il y a encore beaucoup de travail, comme chez tout les autres nageurs, mais elle évolue physiquement. C’est hyper intéressant de bosser avec elle et même ennuyeux car elle sait tout faire, ou en tout cas elle s’amuse dans tout ce qu’elle fait », détaille l’entraîneur rhodanien. Un plaisir qui nourrit aussi son investissement quotidien, et qui s’ajoute peut-être à une part de talent naturel, de prédispositions évidentes, mais qui ne saurait remplacer l’essentiel : le travail, la rigueur et la discipline. Car ce que retiennent avant tout son entraîneur et son entourage, c’est que l’histoire de Jeanne Lechevalier s’écrit sans précipitation, étape après étape, avec patience et constance. Une trajectoire soigneusement construite, loin des raccourcis, pour laisser le temps à son potentiel de pleinement s’exprimer.

Victor Simonet
Crédit photo : Théo Bégler et Kevin Devigne (archives) – Gazettesports.fr

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