OMNISPORTS : Comment les clubs amateurs recrutent ? 

Pour tous les clubs, le recrutement a pris de plus en plus de place et notamment dans le monde amateur. Quel que soit le sport, les méthodes ont évolué et nous allons voir qu’elles se rapprochent de plus en plus du monde professionnel. 

Ce sont trois témoignages croisés, issus de disciplines différentes qui permettent de mettre en lumière l’importance du recrutement mais aussi les méthodes employées. Trois clubs amiénois avec l’exemple du football et le témoignage de Yohane Moreira (coach de l’ESC Longueau), du basket-ball avec Serge Tristram (président de l’ESCLAMS) et enfin du rugby avec Joël Nayet (vice-président du RCA). 

Le réseau, un élément primordial 

L’un des éléments de base du recrutement est d’avoir un réseau. Dans ces trois sports, il constitue un une base importante, mais avec quelques différences notables entre les disciplines. Dans le football, comme le souligne Yohane Moreira,pour recruter, on s’appuie avant tout sur le bouche à oreille. On se crée un réseau de joueurs de par nos expériences, dans lequel on pioche quand on cherche des recrues. J’ai aussi un réseau entre entraîneurs et avec les agents, car il y en a aussi dans le monde amateur.” Et c’est le même son de cloche pour le basket, comme nous l’explique Serge Tristram : “Une fois que l’on a identifié nos besoins avec le coach et le conseil d’administration, on s’appuie sur notre réseau. On a un réseau d’agents avec lesquels on travaille et qui nous proposent des joueurs en fonction de ce que l’on recherche. Il y a aussi un réseau de joueurs que l’on connaît, car ils évoluent dans la région depuis un moment et que l’on a rencontrés depuis plusieurs années.Pour le rugby, c’est aussi le cas, mais le réseau est bien différent : “Pour recruter, il faut un réseau qui se crée en rencontrant des gens, en discutant, mais aussi grâce à des contacts, notamment pour les joueurs étrangers. Il faut absolument une personne sur place pour rentrer en contact avec les joueurs. Après, c’est à nous d’être convaincants, même si l’on fait face à des joueurs qui rêvent de venir en France, ce qui facilite les choses”. 

Quand on observe le recrutement des clubs cet été, on remarque aisément que le réseau est primordial, surtout dans le football et le basket, avec des joueurs issus de la région que les coachs connaissent. Pour le rugby, c’est différent, mais il faut aussi souligner que le bassin de joueurs dans la région n’est pas le même. 

Joël Nayet, vice-président du Rugby Club Amiénois

La vidéo comme outil de recrutement 

Aujourd’hui, très peu de clubs amateurs peuvent se permettre de posséder une cellule de recrutement et des gens capables d’aller observer des rencontres. La vidéo qui est de plus en plus présente dans le sport, puisqu’aujourd’hui, quasiment tous les clubs d’un certain niveau amateur filment leur match, peut jouer un rôle crucial. Si le but premier est d’observer son équipe et l’adversaire, la vidéo est devenue un véritable outil de recrutement. C’est en effet le meilleur moyen de scruter à moindre coût un joueur. D’ailleurs, pour se vendre, joueurs et agents utilisent eux-mêmes la vidéo, comme le souligne Yohane Moreira :  “Quand on reçoit des CV aujourd’hui, il y a des vidéos du joueur avec, ce qui permet de se faire une première idée.” Même constat pour Serge Tristram, “on voit aujourd’hui que n’importe quel joueur qui veut trouver un club, va faire un montage vidéo pour se mettre en avant.” C’est d’ailleurs l’outil principalement utilisé dans le basket, on recrute les joueurs sur vidéo exclusivement quand ce sont des joueurs qui n’évoluent pas dans notre poule ou championnat. On ne peut pas forcément les faire venir pour des essais ou des matchs amicaux, donc on doit se fier à des résumés vidéo pour identifier le joueur.”

C’est un outil très intéressant qui permet une première prise de contact et d’avoir une première idée du niveau du joueur.

Yohane Moreira

L’outil est d’ailleurs devenu indispensable pour Yohane Moreira, “Je suis adepte des nouvelles technologies et j’essaie de me rapprocher de ce qui se fait dans le monde professionnel. C’est un outil très intéressant qui permet une première prise de contact et d’avoir une première idée du niveau du joueur.” C’est différent pour le rugby comme le souligne Joël Nayet, “il est difficile pour nous d’aller chercher des joueurs dans le Sud-Ouest ou en région Parisienne car ils ont une énorme densité de clubs autour d’eux. Notre zone de chalandise en France reste assez proche de nous, donc quand on a un joueur en vue, on se déplace pour le voir jouer. On peut l’observer en vidéo, mais c’est parfois compliqué de s’en procurer. Pour les joueurs étrangers, on essaye de se procurer le plus d’informations et de vidéos pour analyser au mieux son jeu et son niveau, mais parfois, on en a très peu. On fait confiance à nos informations et il y a forcément une part de risques à chaque fois.” 

Avec l’utilisation de la vidéo, les clubs amateurs se rapprochent donc de plus en plus des clubs professionnels. En effet, aujourd’hui, les cellules de recrutement des clubs professionnels utilisent énormément ce moyen pour analyser les joueurs. La différence étant le volume de match observé et la capacité à aller voir en live le joueur. Mais si c’est un outil très intéressant, il est parfois compliqué de se faire une idée juste sur de la vidéo. 

La DATA et les statistiques de plus en plus présentes

Omniprésentes dans le sport de haut niveau, les statistiques et la DATA sont aussi présentes dans le monde amateur et utilisées pour les recrutements. Dans le basket, les statistiques sont partout comme le souligne Serge Tristram  : “Quand on recrute un joueur, forcément, on regarde ses statistiques. Dans le basket, on a de la chance d’avoir accès à de multiples données qu’il faut savoir trier et utiliser à bon escient. Il faut aussi être capable de les remettre dans leur contexte par rapport à l’adversité en face. On y prête attention, mais ce n’est pas ce qui dicte notre choix.

Pour moi, les statistiques sont primordiales

Joël Nayet

Pour le rugby, l’importance des statistiques dans le recrutement est encore plus prépondérante selon Joël Nayet : “Pour trouver des joueurs, après avoir fait le point avec le coach sur les besoins, on regarde les statistiques à notre disposition. Cela permet d’identifier des joueurs sur lesquels on va ensuite essayer d’avoir plus d’informations avant de prendre contact. Pour moi, les statistiques sont primordiales. Après, on n’a pas toutes les données que l’on peut avoir pour nos joueurs, mais on a quand même pas mal d’informations qui sont bien utiles. » Pour le football, cela est très peu utilisé, comme le souligne Yohane Moreira : « A notre niveau, on a très peu accès aux données sur les équipes adverses, que ce soit les statistiques ou la DATA donc on l’utilise peu pour recruter. Pour un attaquant, par exemple, on peut regarder les buts quand on y a accès, mais pour ma part, je m’en sers peu, car on n’a pas énormément d’informations.

De plus en plus présente dans le sport professionnel où le prisme des performances passe pour beaucoup par les statistiques, quelles qu’elles soient, le monde amateur n’y échappe pas pour certains, mais d’autres en restent épargnés. La difficulté de collecte et surtout de centraliser pour partager, restent les principaux freins à la méthode. En effet, les clubs communiquent très peu sur ces éléments.

Serge Tristram, président de l’ESCLAMS

Difficultés de recrutement et erreurs de casting 

Le recrutement n’est pas une science exacte et les erreurs de casting arrivent fréquemment. Si les clubs essaient de réduire au maximum les risques, le risque zéro n’existe pas. Pour les limiter, Yohane Moreira essaye de prendre le maximum d’informations possibles et de ne jamais recruter juste sur vidéo, par exemple. « Je préfère voir les joueurs en séance. Cela permet aussi de les évaluer par rapport à mes joueurs. Quand on peut, j’essaye de les voir sur un match amical, cela permet d’avoir encore plus d’informations. Mais on peut quand même se tromper. Un joueur peut être dans un très bon jour lors de l’essai et s’avérer ne pas être au niveau espéré ensuite, c’est déjà arrivé. On appelle ça une erreur de casting, ça fait partie du recrutement. À l’inverse, parfois, on passe à côté d’un joueur, car il se rate le jour où on l’observe. C’est pour cela que j’aime prendre le maximum d’informations sur et en dehors du terrain et de le voir plusieurs fois avec le groupe, mais ce n’est pas toujours évident.” 

Pour limiter les risques et l’impact, on met en place de longues périodes d’essai.

Serge Tristram

En basket, c’est bien différent et le risque est plus dur à éviter selon Serge Tristram : “On ne peut pas faire venir des joueurs étrangers pour un essai, donc on doit s’appuyer sur les vidéos seulement et se baser sur les échanges avec le joueur. On a parfois des surprises, car les vidéos sont parfois trompeuses, mais aussi, car il est difficile d’évaluer le niveau du championnat dans lequel le joueur évolue par rapport au nôtre. On a eu plusieurs échecs depuis que l’on fait venir des joueurs étrangers. Pour limiter les risques et l’impact, on met en place de longues périodes d’essai. Cela permet de limiter l’impact financier pour le club en cas d’erreur, mais ça reste un coût et un échec pour nous à chaque fois. L’idéal serait de recruter seulement des Français, mais ce n’est pas évident. On est très porté vers le marché américain, mais on reste ouvert au marché européen, notamment de l’Est ou encore en Afrique, que l’on devra développer à l’avenir, surtout si on retrouve la NM2.”

Au rugby, quand le club fait venir des joueurs d’Afrique du Sud, par exemple, le risque est parfois énorme et difficile d’être limité, comme le souligne Joël Nayet : “On fait confiance à notre feeling et à nos contacts sur place. Quand vous faites venir un joueur qui a déjà une certaine expérience, c’est plus simple d’évaluer son niveau, mais quand on fait venir un jeune joueur avec peu d’expérience, comme c’était le cas avec Matt Doyle, le premier joueur que l’on a fait venir de là-bas, il y a un risque. Financièrement, les Sud Africains ont tellement envie de venir qu’ils sont prêts à faire des sacrifices, surtout quand ils sont jeunes. Pour limiter les risques, on offre des contrats assez courts. On a eu la chance pour le moment d’avoir le nez assez creux avec aucune erreur de casting.” 

Même avec le maximum d’informations possible, il est donc difficile de réduire le risque de se tromper, à zéro. L’enjeu est sportif, mais aussi financier, car payer un joueur qui n’est pas au niveau est toujours un échec pour le club. Dans le monde amateur, les structures ont souvent une marge de manœuvre financière limitée et une erreur peut coûter très cher. 

Yohane Moreira, entraîneur de l’ESC Longueau

Les agents de plus en plus présents

La présence d’agents dans le sport de haut niveau est devenue monnaie courante, mais c’est plus rare dans le monde amateur, même si cela est en train de changer. En basket, par exemple, les agents sont déjà bien implantés et presque indispensables pour les joueurs qui veulent se vendre et trouver un nouveau club. “On a un réseau d’agents qui travaillent dans différents secteurs en France, à l’étranger et à différents niveaux, souligne Serge Tristram. Ce réseau est primordial pour recruter et c’est le meilleur moyen de trouver des joueurs. Les négociations ne sont pas les mêmes avec des agents qu’avec des joueurs en direct, mais ce n’est pas toujours plus compliqué. C’est en tout cas devenu la norme pour nous de négocier avec des agents.”

Je pense que l’on va voir de plus en plus de joueurs avec des agents dans le futur.”

Yohane Moreira

En football, cela commence à arriver de plus en plus, surtout pour la nouvelle génération. On voit arriver de plus en plus d’agents dans le sport amateur, surtout pour de jeunes joueurs qui ont l’ambition d’aller chercher des contrats professionnels ou des joueurs sur la fin qui cherchent un dernier challenge, dixit Yohane Moreira. Je travaille un peu avec des agents qui ont pour objectif de placer de jeunes joueurs en devenir. Forcément, ça change les négociations, mais avant de débuter toutes discussions, j’indique clairement les prétentions financières que l’on peut offrir pour ne pas perdre de temps. Je pense que l’on va voir de plus en plus de joueurs avec des agents dans le futur.” Au rugby, cela est beaucoup moins présent, même si les agents commencent à arriver comme nous l’indique Joël Nayet, « Depuis 7 ans, j’ai pu observer l’arrivée d’agents sur le marché français, même si dans notre secteur, c’est encore très rare et je n’ai pas eu l’occasion de négocier avec des agents. Sur le marché sud-africain, ce ne sont plus des intermédiaires qui vont vous mettre en contact avec un réseau de joueurs, mais on négocie directement avec le joueur.” 

Comme dans le monde professionnel, les agents font leur apparition de manière progressive dans le sport amateur. Ils sont même déjà très installés dans un sport comme le basket où on retrouve un nombre conséquent de joueurs possédant un agent pour les représenter et négocier leurs contrats. Une donnée à prendre en compte dans les futures négociations pour les clubs à l’avenir. 

Savoir être attractif et convaincant 

Recruter n’est pas seulement synonyme de repérage de joueur, le plus difficile est de le convaincre de venir et à choisir ce projet plutôt qu’un autre. Pour cela, il faut être capable de montrer un véritable projet sportif, mais dans un monde où l’argent est de plus en plus présent, il ne faut pas se contenter de ça pour convaincre un joueur. Pour Yohane Moreira, convaincre un joueur, c’est lui proposer un projet sportif. Après, il y a des négociations sur des indemnités, mais pour notre cas, ce n’est pas un argument. Certains clubs qui ont de gros moyens peuvent s’en servir, mais ça ne fait pas tout. Des joueurs font des choix, parfois financiers, c’est le jeu, même si pour moi parfois cela tue un peu le football. On voit parfois des joueurs préférer aller plusieurs divisions en dessous pour de l’argent. Tant mieux pour les joueurs, j’ai envie de dire, mais surpayer des joueurs n’est pour moi pas un modèle viable sur le long terme.”

Dans certains cas, il faut leur trouver un travail

Joël Nayet

En rugby, il faut parfois être inventif pour convaincre un joueur, comme l’explique Joël Nayet : “Il y a différents styles de joueurs, vous avez les joueurs professionnels ou semi-professionnels qui ne font que ça et qui sont salariés du club avec des interventions auprès des jeunes du club et des formations d’éducateur pour certains. Ensuite, il y a des joueurs qui viennent d’un peu plus loin, il faut alors les indemniser pour les frais kilométriques engagés, mais pas seulement. Dans certains cas, il faut leur trouver un travail, car on ne leur offre pas un salaire pour pouvoir vivre. On fait alors marcher notre réseau d’entreprise pour leur trouver un poste. Parfois, on doit leur trouver un lieu pour étudier, une formation ou même un logement. C’est un package qu’il faut leur proposer pour être attractif et les convaincre de venir. On a la chance d’avoir une ville assez attractive qui nous offre des possibilités, mais c’est loin d’être évident aujourd’hui de pouvoir remplir toutes les demandes d’un joueur. On a ensuite les joueurs locaux qui aujourd’hui bénéficient de primes de matchs, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années, mais c’était pour moi logique.”

C’est un peu le même cas en basket, “on a des joueurs qui, pour un certain nombre, viennent de très loin, il faut leur trouver un logement très souvent. Certains font exclusivement du basket, d’autres interviennent au sein du club et auprès des jeunes. On essaie pour certains de les accompagner dans leur futur projet scolaire ou professionnel. Ce sont des choses indispensables pour convaincre des joueurs, car on n’a pas les moyens financiers de tous leur offrir un salaire permettant de vivre. Une nouvelle fois, le réseau et l’attractivité du secteur font la différence. Quand on demande un tel investissement et une telle charge de travail aux joueurs, on est obligé de leur offrir une compensation financière”, estime Serge Tristram. 

Dans un monde où l’argent entre de plus en plus en compte dans le sport, qui est aujourd’hui une énorme industrie, le monde amateur n’est pas exclu. Il faut être capable de trouver des solutions pour attirer les joueurs, et cela avec des budgets à respecter. 

De nombreux points communs sont mis en lumière dans les méthodes de recrutement entre les différents sports et dans le monde amateur. L’un est que la façon de recruter et les moyens se rapprochent du monde professionnel avec des moyens financiers de plus en plus conséquents et primordiaux, mais aussi des outils technologiques. Surtout, on constate que pour recruter aujourd’hui, il est impératif d’avoir un réseau qui se crée avec l’expérience, les résultats, les échanges. Sans réseau, il est presque impossible de pouvoir recruter de manière efficace pour un club amateur. 

Aurélien Finet
Crédit photo : Kevin Devigne, Théo Bégler – Gazette Sports, DR

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