ÉDUCATION AUX MÉDIAS : « J’ai un handicap et alors ?! »

Kévin De Witasse Thézy (Amiens UC Athlétisme) est champion de France du 400 m T47. Ambassadeur du club Somme 24, il n’a écarté aucune des questions de la classe de CE2 – CM2 du regroupement pédagogique de Mesnil-Bruntel, près de Péronne, rencontrée en partenariat avec l’USEP et Gazette Sports.

Son handicap

Pendant la grossesse de ma maman, ma main gauche n’a pas eu le temps de se former. On appelle ça une malformation, c’est une agénésie. J’essaie de m’adapter à toutes les choses de la vie quotidienne.

Cela n’empêche pas Kévin de pratiquer – ou d’avoir pratiqué – toutes sortes de sports : football, athlétisme, handball, gym, équitation, basket, natation, danse contemporaine, escalade, volley-ball, badminton et tennis de table.
Kévin, qui a 24 ans, conduit sa voiture et il joue aux jeux vidéo avec la même manette que nous !!!

Au quotidien, est-ce difficile ?

J’ai la chance (sic*) d’être né sans la main gauche. J’ai eu l’habitude. Parfois c’était très difficile. Au tout début, je n’avais pas de patience et si je n’y arrivais pas, je disais bah tant pis, je passe…
Par exemple, faire mes lacets, je n’y arrivais pas et du coup je mettais des chaussures à scratch. Sauf que plus on grandit, moins on a de chaussures à scratch ! Du coup, il faut se débrouiller, donc on essaie de faire ses lacets… Combien de fois j’ai balancé mes chaussures à travers la fenêtre parce que je n’avais pas de patience ! Mais combien de fois je suis allé les chercher pour réessayer… Il faut avoir de la patience.

(*sic : se met entre parenthèses après un mot ou une expression que l’on cite, pour souligner qu’ils ont été retranscrits textuellement)

Prothèse

« Plus jeune, mes parents m’ont proposé de porter une prothèse. Il fallait essayer pour savoir si j’allais l’accepter. Avant, les prothèses n’étaient pas comme aujourd’hui. Et moi, pour ma part, j’avais une prothèse qui m’englobait tout le bras. La prothèse était reliée à mon épaule par une ficelle. J’avais juste la main qui faisait la pince. Sauf qu’en grandissant, la prothèse n’était plus adaptée. Je n’arrivais pas à me débrouiller avec. C’était plus compliqué que sans prothèse. Je suis beaucoup plus à l’aise sans. Il y a cinq ans, j’ai réessayé une prothèse en silicone. Je l’ai portée 30 secondes. Je n’étais pas à l’aise, je préfère sentir les choses.

Et une opération ? Si Kévin décidait de se faire opérer pour avoir une main gauche, un dilemme se poserait car il ne pourrait plus faire de course handisport.

Pourquoi l’athlétisme ?

Avant je ne faisais que du foot, j’étais à la fac, en STAPS, pour devenir préparateur athlétique. C’est un prof qui m’a orienté vers l’athlé. Je faisais option athlé et il m’a dit : « Pourquoi tu n’essaierais pas les championnats de France d’athlétisme handisport ? » Tout le monde peut accéder aux championnats de France handisport, on ne passe pas par les départementaux et régionaux. Donc je me suis dit pourquoi pas ? Mon professeur m’a orienté vers mon club d’athlétisme d’aujourd’hui, l’Amiens Université Club. J’ai fait un essai et ça m’a tout de suite plu.

T47

Il existe énormément de catégories handisport. Je cours en T47, au niveau international, avec des personnes qui ont une main en moins, un bras en moins ou un coude en moins.

Kévin ici à l’entraînement le 29 juin, au stade Urbain-Wallet, fief de son club, l’Amiens UC.

Entraînement + travail

J’ai mis mes cours en stand-by en Master (de STAPS EOPS à l’Université de Picardie Jules-Verne, à Amiens, ndlc*). Je suis étudiant donc pas beaucoup d’argent. J’ai décidé de trouver un job. J’ai signé un CDI de 20h (dans un magasin d’Amiens, ndlc). Je peux continuer mes entraînements et travailler pour me faire un peu d’argent. Avec mon employeur, on a signé une convention avec la Fédération Française d’Athlétisme handisport pour que tous mes déplacements soient pris en compte comme une absence justifiée.
Je fais 6 à 12 entraînements par semaine. J’ai des séances d’aérobie (footing), des séances de technique, de musculation et de PPG (préparation physique générale, en fait du renforcement musculaire). Je passe entre 15 et 20h par semaine au stade.

Son palmarès

Kévin a été huit fois champion de France du 400 m ! Quatre fois en salle et quatre fois en extérieur. Il a aussi remporté deux médailles d’or sur le 200 m, ainsi qu’une médaille d’argent et une médaille de bronze. Son record personnel sur le 400 m est de 50 sec 10 centièmes.

Timothée découvre la médaille de champion de France 2023 de Kévin De Witasse Thézy

Son plus beau titre

Je dirais le premier, pour l’effet de surprise parce que c’était ma première compétition d’athlé, je n’en avais jamais fait avant. C’était les championnats de France à Nantes en 2019. Premier 400 m en salle, deux tours de piste. J’ai été baigné tout de suite dans le bain (sic). J’étais nouveau, personne ne me connaissait. On ne s’y attend pas et on se dit waouh !

Ambitions et prochains rendez-vous

Je vais avoir ma première sélection en équipe de France. Je vais représenter la France pour les championnats du monde à Paris, du 8 au 17 juillet au stade Charléty : les séries à suivre le 13 juillet à 20h50 sur la chaîne L’Équipe puis la finale le 14 juillet à 19h50. Un rendez-vous à ne pas manquer !

Kévin participera-t-il aux Jeux Paralympiques de Paris ? Tout va dépendre des championnats du monde. En fonction des résultats, la Fédération française d’athlétisme handisport va poser des minima. On pourra peut-être faire partie de l’aventure pour les Jeux 2024 à Paris.
Je dis « on » car c’est un travail d’équipe. L’athlé, ce n’est pas un sport individuel : on a un coach, des coéquipiers, des soigneurs, on court aussi pour eux. Tout est possible, tout est accessible, on ne se met pas de limites. Je saurai le chemin des sélections aux Jeux en septembre octobre.

Sa plus grande fierté

D’avoir réussi tout ce que j’ai entrepris jusqu’à aujourd’hui, que ce soit dans le milieu sportif ou professionnel. J’ai réussi à accomplir pas mal de choses mais ce n’est pas fini encore ! J’ai des messages à faire passer auprès des jeunes pour changer les mentalités.

Ses amis

Au début, je n’acceptais pas mon handicap, c’était quelque chose de très tabou, j’étais assez pudique. Je n’en parlais pas, je préférais rester dans mon coin que d’aller vers les autres, de voir leur curiosité et de répondre à leurs questions.
J’ai eu la chance d’avoir de bons copains-copines qui m’ont tout de suite intégré et m’ont aidé à me sentir à l’aise. Au final, je me suis dit : « J’ai un handicap et alors ?! » Le handicap fait partie de moi.
C’est grâce au sport que j’ai accepté d’être vu et d’être jugé. Ce n’est pas facile quand on est jeune.

Son mot de la fin

Ne laissez pas de côté une personne en situation de handicap, essayez de l’intégrer avec vous, ça peut totalement changer sa confiance en elle.

*ndlc = note de la classe

Jade, Eliano, Clara, Raphaël G., Hugo, Lélya, Cédrick, Raphaël W., Noah, Noëlyne, Isaac, Shad, Joshua, Nolänn, Timéo, Justine, Cléa, Noémie, Ambre, Aurane, Léana, Timothée et Louis, de la classe de CE2 – CM2 de Caroline Choquet, au RPC de Doingt-Flamicourt et Mesnil-Bruntel
Crédit photo : Caroline Choquet (DR) / Théo Begler et Vincent Delorme – Gazette Sports

Leave a Comment

Your email address will not be published.

Start typing and press Enter to search