ÉDITO – Morgan Chaumier : « Les héros du sport n’ont pas vocation à n’être que valides »

Je n’ai aucun handicap, je ne suis d’ailleurs pas sportif pour un sou non plus. Ajoutons à cela une construction de mon rapport au sport fait au travers de la culture sportive dominante, valorisant les grands sportifs, les grands exploits, les grands mythes des sportifs valides, je n’avais que peu de chances d’être happé par le handisport.

De fait, l’honnêteté me pousse à reconnaître que cela imprègne toujours mon rapport au sport, on ne défait pas 25 ans (et même plus, car on porte un héritage) de lien à une passion d’un coup de baguette magique. Et pourtant. Et pourtant, deux coups de baguette magique m’ont marqué et me marquent toujours. Deux coups portés par deux athlètes handicapés.

D’abord, Alessandro Zanardi. Fan de sport automobile que je suis, il n’avait pourtant pas vocation à rester une figure marquante, certes, il avait enchaîné des titres en Champ Car, mais il était avant tout, au carrefour des années 2000, mes premiers émois sportifs, une figure éphémère de la Formule 1 où il n’avait pas brillé. Jusqu’à ce samedi 15 septembre 2001. J’étais encore jeune mais l’annonce de son accident dans lequel il perdait ses deux jambes m’avait marqué. Son retour, moins de deux ans plus tard, au volant d’une monoplace similaire également. De là, une carrière reprise comme si de rien n’était, dans le championnat du Monde de voitures de tourisme (WTCC) avec , à défaut de titre, pas moins de 4 victoires et 10 podiums en 5 saisons. Finalement, après plusieurs années passées à se battre contre les valides, il passait en 2007 en handisport, en cyclisme, sport dans lequel il obtenait 6 médailles dont 4 titres paralympiques.

Ensuite, Bibian Mentel-Spee. Au détour d’un visionnage des Jeux Paralympiques d’hiver de 2018, à Pyeongchang, je découvrais, beaucoup plus tardivement, une impressionnante double championne olympique en snowboard. Plus impressionnant encore, j’apprenais qu’à peine 2 mois auparavant, elle se trouvait à l’hôpital, pour le traitement d’une énième rechute d’un cancer qu’elle traînait depuis la fin des années 1990, ce cancer qui lui avait coûté sa jambe droite, alors qu’elle était encore une athlète valide, en pleine préparation des JO 2002. D’autant plus impressionnant qu’elle n’était pas censée disputer ces JP, la faute à des sponsors s’étant désengagés face à l’hospitalisation de l’athlète et une saison hivernale inexistante. Difficultés qu’elle avait toutes surmontées pour venir, donc, décrocher deux breloques en or à 45 ans.

Si je reviens sur ces chocs, c’est aussi qu’il me sont revenus en pleine face ces derniers mois. Encore une fois, en premier par Alex Zanardi, quand le 20 juin 2020, il était percuté par un camion en plein entraînement. Annoncé mort par les premiers secouristes arrivés sur les lieux, il était finalement hospitalisé dans un état extrêmement grave sur demande de sa femme, persuadée de la possibilité de le sauver malgré de multiples fractures du crâne. De fait, les dernières nouvelles de Zanardi étaient  »bonnes », eu égard au peu d’espoirs existant durant l’été 2020, capable de communiquer non-verbalement, et même de serrer la main en décembre 2020, il était fait état de son retour à la parole en janvier 2021.

Hélas, destin croisé, quelques semaines plus tard, c’est Bibian Mentel-Spee qui revenait sur le devant de la scène, lors d’une émission télévisée néerlandaise. Pour annoncer, après 15 traitements pour son cancer, sa mort prochaine, une tumeur au cerveau en phase terminale la condamnant à court terme. Alors que Zanardi revenait peu à peu à la vie, Mentel-Spee s’éteignait finalement le 29 mars dernier, après 22 ans de lutte, contre le cancer, individuellement, pour achever les plus grandes choses dans son sport, mais aussi à plus grande échelle, au travers de sa fondation, Mentality, visant à stimuler la pratique du sport par les enfants handicapés de son pays.

Ce ne sont que deux exemples, parmi tant d’autres, mais qui prouvent une chose : les mythes, les légendes, les héros du sport n’ont pas vocation à n’être que valides. Nous, médias, devons nous en souvenir. Par le courage et la force de caractère dont ils et elles font preuves, les athlètes handisports ont tout autant si ce n’est plus de quoi nous inspirer. Nous inspirer de grandes émotions, déjà, puisque c’est aussi ce qui fait la beauté du sport. Inspirer et être des figures positives pour les enfants handicapés, aussi, certes, mais pas que. Nous avons tous à apprendre, ne serait-ce que l’humilité et la décence, de ces formidables sportifs et sportives, qu’on les retrouve au plus haut niveau ou non.


Morgan Chaumier

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