PORTRAIT : ILANA KORVAL, TOUT POUR LE JUDO, MAIS PAS QUE…

Aujourd’hui à la tête du pôle espoir d’Amiens, comme elle en avait tant rêvé, Ilana Korval revient sur sa carrière de judokate : entre déceptions, chagrins et remises en question, mais aussi plénitude des premiers instants, euphorie des victoires et moments de grâce dont sa famille a toujours fait partie intégrante.

La jeune Ilana des années 90 commence le judo malgré elle, car elle enchaîne les combats sur le béton de la cour de récréation, contre des camarades qui l’insultent en raison de sa couleur de peau. Dans sa famille, ils sont six frères et sœurs dotés d’un fort caractère, ce qui leur permet de se défendre et de ne pas souffrir du racisme autant que d’autres. « Je considère que j’ai eu une belle enfance, ça ne m’a pas traumatisée et c’est peut-être ça qui m’a amenée au judo« , entame Ilana. En CP, sa maîtresse décèle alors chez elle une énergie à canaliser sur les tatamis. Sa mère l’inscrit dans son premier club de judo, à Neuilly-en-Thelle, où elle se démarque une semaine après son arrivée, lors des interclubs. Cette victoire face à des garçons constitue une première révélation pour celle qui venait à peine de débarquer dans le club. « J’ai adoré ce sport. J’ai aimé gagner sans me faire gronder ou punir. On me félicitait même de battre« , confie-t-elle. Pendant quelques années, elle fait donc ses armes sans le savoir, en pratiquant le judo « juste pour se défouler » et en devenant la judokate imbattable de Picardie. Pas question d’apprendre les kata pour la petite Ilana, qui n’a développé aucun goût pour la technique. Moins stimulée, et même « fatiguée » par cette partie technique, elle se faisait régulièrement exclure des cours ou réprimander pour son manque d’implication dans ce domaine.

Une carrière entre vents et marées

Malgré son désintérêt pour les katas, elle intègre le pôle espoir d’Amiens, et obtient même sa ceinture noire, avant d’être promue 5ème dan des années plus tard, à plus de quarante ans. « Quand j’ai passé les tests pour Orléans, en technique j’ai eu 0. Ils m’ont demandé d’étrangler. J’ai pris mes mains, j’ai étranglée la fille en face. En combat, j’ai eu une bonne note qui a compensé, donc j’ai été prise à Orléans« , raconte-elle à propos des sélections pour rejoindre le pôle, alors qu’elle venait d’être médaillée d’argent aux Championnats de France junior, en tant que cadette. « Une semaine avant, j’ai appris qu’il y avait un pôle plus proche de chez moi, à Amiens« , ajoute celle débarquée en seconde au lycée de La Hotoie. C’est donc au pôle espoirs d’Amiens qu’Ilana évolue sous la tutelle de Cathy Fleury pendant deux ans, dans la catégorie des moins de 57 kg, avant de s’envoler vers de nouveaux horizons. Une dernière année de lycée l’attend, avec le baccalauréat… mais pas seulement.

Acceptée au Centre National Junior de Poitiers, elle déménage une nouvelle fois pour vivre l’une des années les plus prolifiques de sa carrière de judokate : « J’ai quasiment tout gagné cette année-là, entre les France UNSS et une première sélection en équipe de France. Sauf les France junior, la pire compétition de ma vie. Sur le papier, j’aurais dû gagner. Il n’y a pas une fille qui me tenait, même Julie Labarrere, qui m’avait battu la saison d’avant, je l’avais battu sans difficulté. » Au premier tour des Championnats de France, à la suite d’un ippon qu’elle qualifie « d’anthologie« , elle perd ses moyens et n’arrive pas à renchérir sur le tapis. Non repêchée, le graal lui échappe, et elle doit encaisser l’une des plus grandes blessures de sa vie de sportive. Comme à son habitude, elle trouve refuge dans les bras de son père, toujours présent dans les gradins, tout comme sa mère, pour qui il était insupportable d’assister aux combats de sa fille. Sur un ton léger, elle rapporte : « Ma mère était là, mais dans les toilettes, donc je ne sais pas si elle m’a déjà vue combattre. Cette peur, je la comprends maintenant. » Cette profonde tristesse qui l’envahit à chaque grande défaite, elle a d’abord besoin de l’évacuer. « Dès que je perdais, j’ai toujours pleuré. Je ne faisais pas de cinéma sur le tapis, je voulais fuir le plus rapidement possible« , livre-t-elle. Puis, elle la transforme en force. Cette grande détermination, même face à l’échec, lui permet de ne pas s’arrêter-là.

Remarquée pour rentrer à l’INSEP, elle rencontre Paulette Fouillé, sélectionneuse de l’INSEP, à la sortie de la finale des Championnats de France de première division. Cette dernière lui annonce la nouvelle, sans effet sur Ilana en plein désarroi, qui réagit à froid : « Je viens de perdre ! Qu’est-ce que vous voulez que je rentre à l’Insep ? » Face à son insistance, elle saisi les papiers avant de les jeter par frustration. « Je m’en veux, car je suis bien élevée à la base« , avoue-t-elle avec le recul d’aujourd’hui. Cette réaction, même si elle n’en est pas fière, prouve à quel point gagner avait son importance dans la vie d’Ilana. « Je ne comprends pas le principe du judo loisir. Le judo je l’ai fait pour me battre, pour faire des compétitions« , souligne l’ex-judokate. De son entrée à l’INSEP en 2001, elle trace sa route jusqu’en 2004, où elle est titrée en équipe aux Championnats d’Europe à Bercy. Un souvenir qui reste gravé : « J’étais la petite quand je suis rentrée dans l’équipe, c’était déjà inouïe. Je n’écoutais même pas l’annonce des sélections. Arrivé en finale, on avait déjà gagné, mais je suis quand même rentrée. J’ai perdu contre Sophie Cox, mais c’était incroyable, car sur le papier je n’étais pas censée rivaliser. » Un mois plus tard, elle participe aux Championnats d’Europe des moins de 23 ans en Slovénie, et les montagnes russes émotionnelles continuent. Le résultat de cette compétition constitue sa deuxième plus grande blessure en carrière, puisqu’elle a dû surmonter une 7e place difficile à digérer. En 2005, elle traverse une crise qui la pousse à faire une pause avec le judo. Finalement revenue sur le tatami, elle monte en catégorie des moins de 63 kg, glanant encore quelques médailles en deuxième et première divisions, avant de progressivement changer de statut.

Ilana Korval, en 2023 à la Judo Pro League Hauts-de-France.

Une transition naturelle vers le statut d’entraîneuse

De sa carrière notable de judokate, Ilana Korval semble encore imprégnée. Dorénavant, entraîneuse au pôle espoir d’Amiens, elle raconte ce désir qui n’a jamais cessé de se développer en elle, même si pendant un court moment, elle a hésité avec le journalisme qu’elle a finalement délaissé pour rester concentrée sur le judo. « J’ai toujours voulu être entraîneuse. Depuis mes débuts en judo, de manière consciente, c’est-à-dire en compétition, c’est une volonté que j’avais« , explique-t-elle. Après son passage par la capitale Samarienne dans sa jeunesse, c’est le pôle espoir d’Amiens qu’elle avait en ligne de mire, plus que tout autre. Cette envie de transmettre illustre la très grande générosité de cette athlète, mais aussi sa passion débordante pour une discipline remplie de talents. « À partir du moment où je suis rentrée à Amiens, j’ai voulu apporter où moi, on m’avait apportée« , dit celle qui a aujourd’hui réalisé l’un des grands objectifs de sa vie. En 2017, elle arrive enfin à Amiens, et prend plaisir à ne s’occuper que des cadets : « Je ne peux pas leur mentir. » Le système qui l’a fait souffrir lorsqu’elle était jeune, elle ne veut pas y être mêlée. « Je n’ai pas envie de faire vivre, ce que moi j’ai mal vécu. C’est ma responsabilité« , affirme-t-elle.

Elle ne devient pas directement entraîneuse là où elle l’a tant désirée, mais fait ses débuts en tant qu’entraîneuse à l’INSEP. Elle s’occupe de Madeleine Malonga en junior pendant un an et demi, en parallèle de ses diplômes qu’elle obtient en 2007, alors qu’elle entraînait déjà notamment au club de ses débuts, le JAMP (Judo Amiens Métropole Picardie, à Neuilly-en-Thelle). À 29 ans, elle s’installe avec sa fille et reçoit sa première paie en tant que cadre technique départemental dans l’Aisne. Sa mission est d’abord de développer le judo dans le département. « Je voulais entraîner tout de suite, mais on m’a conseillée d’aller me former pour savoir gérer un budget, pour développer« , précise la native de l’Oise. Elle part donc à Tergnier, même si elle aspire toujours à entraîner à Amiens. Au bout de deux ans, toujours dotée d’un fort état d’esprit de compétition, elle se dirige ailleurs. « Ma vie, c’est une compèt, donc le travail faut que ça soit efficace. J’ai vraiment du mal avec l’échec, alors je fais en sorte qu’il n’arrive pas. » C’est ainsi qu’elle part à Tourcoing, à côté de Lille, pour entraîner en pôle espoir.

Puis, elle arrive enfin à Amiens. Et en ressort avec un conseil pour les parents qui hésitent encore à inscrire leurs enfants à ce sport qu’elle estime « très militaire » avec des règles strictes à respecter : « C’est très bien de commencer le judo jeune, pour le corps, la mobilité, pour notre développement personnel physique et mental. Avant de monter sur le tatami, on salue. Avant le combat, on salue. À la fin, on salue. C’est un combat, mais il y a des valeurs, on doit respecter l’autre. C’est naturel. On est tous égalitaire, avec les mêmes règles. » Elle évoque aussi ces valeurs qui s’inculquent presque sans qu’on en ait conscience quand on pratique enfant : « Nos parents le voient, mais petits on ne se rend pas compte de la chance que c’est de faire ce sport-là. » Ce que le judo lui a apporté, elle ne l’oublie pas. Bien au contraire, elle en est reconnaissante. « Pour la vie d’après, on a les épaules. On a cette forte capacité d’adaptabilité, une force de travail, d’abnégation, et on sait prendre beaucoup de recul, je dis merci tous les jours. Quand on a fait un sport de combat, ça fortifie et ça donne une assurance. Ça m’a beaucoup pris, mais ça m’a beaucoup apportée, et d’ailleurs ça m’a plus apportée, que ça m’a pris« , retrace-t-elle sereine.

Au sein du pôle espoir d’Amiens, cette structure à accession au haut-niveau, elle accueille des jeunes judokas âgés de 14 ans qu’elle est censée « faire éclore«  pour les amener à rejoindre le pôle France. Pour intégrer le pôle, ils passent des tests de sélection, et une fois qu’ils le rejoignent ils sont dorlotés par leur « maman poule qui ferait tout pour eux« , mais aussi exposés à l’exigence de leur entraîneuse « qui ne blague pas sur le tapis« . Ilana sait se montrer sévère quand il le faut, mais sa transparence permet à ses élèves de mieux la cerner. « Si j’étais prof en club, j’aurais 0 licencié« , dit-elle lucide en riant. Mais bien sûr, elle a conscience du rythme imposé à ces jeunes qui jonglent entre « 2h d’entraînement par jour et l’école« .

Une transmission inévitable

Avec ses parents, son père boxeur, sa mère dur à cuir, sa grande-soeur, danseuse, puis ses petits-frères judokas également, Ilana partage une force de caractère, mais aussi un goût du sacrifice et du travail. « Dans ma famille, on a une grande bouche, mais on se donne les moyens d’y arriver. On est des bosseurs. Mes frères ont fait mieux que moi, parce que chaque enfant fait mieux ! », s’exclame la première judokate de la fratrie. Lorsqu’on remporte une victoire, Ilana considère « qu’on a le droit de célébrer, car après tous les sacrifices faits, c’est la moindre des choses. » De même, face à une défaite, lorsque les larmes surgissent, ce sont les émotions qui prennent le dessus.

Cet esprit de gagnante, cet acharnement au travail, elle les a transmis malgré elle à sa fille Luane, médaillée de bronze en individuel et par équipes aux Championnats de France Espoirs, alors qu’elle n’est encore que cadette première année. « C’est une bosseuse. Elle fait tout à 3000%, elle est très sérieuse, je la reconnais en moi« , confie cette maman comblée. À seulement 14 ans, Luane vient d’ailleurs de décrocher sa ceinture noire, devenant la plus jeune de la famille Korval à l’obtenir. Une immense fierté pour Ilana, qui voit sa fille s’épanouir et triompher dans un univers où elle-même a vécu les plus belles années de sa jeunesse. Pourtant, si cela ne tenait qu’à elle, ils n’auraient pas fait de judo. Ilana a tout essayé pour ses enfants, mais c’est le judo qui est ressorti : « J’ai l’impression qu’ils en ont fait, parce qu’ils n’ont pas eu le choix.« 

Puisque c’est désormais à elle de voir sa fille s’entraîner sous ses yeux, Ilana doit affronter de vieux démons, les mêmes qui faisaient autrefois se réfugier sa propre mère dans les toilettes pour mieux supporter le stress. « C’est une torture de la regarder, je comprends ma mère maintenant. Avant qu’elle entre au pôle, j’étais dans les gradins, je n’en bougeais pas, je l’encourageais. En tant que maman, j’arrivais à gérer. Mais depuis qu’elle est au pôle, c’est pire. Déjà que je stresse pour mes petits du pôle, alors pour ma fille… »  confie-t-elle, reconnaissant être plus sévère avec ses proches pour éviter tout favoritisme. « Je n’aime pas l’entraîner. Sur la chaise, je suis ridicule. Je n’ai vraiment pas une posture de coach : je me cache les yeux pendant une action.  »

Ilana Korval lors de l’entretien consacré à la rédaction, en juin dernier.

Une histoire avec l’équipe de baseball des Kraken qui ne fait que commencer

Cette grande compétitrice s’est détachée du résultat pour ses enfants. Peu importe ce dernier, elle privilégie avant tout le plaisir. Même en cas de défaite, elle n’en est pas moins fière d’eux : « Je suis fan de mes enfants, comme j’étais fan de mes frères et soeurs. » Son fils de 9 ans, Haydan, s’est mis au baseball, tout en continuant le judo. Cette nouvelle activité du mercredi, qu’Ilana a elle-même adoptée le jeudi, leur permet de cultiver un précieux équilibre familial. « Il y avait la complicité du judo avec Luane et dorénavant, avec Haydan, il y a la celle du baseball« , sourit-elle.

Le baseball, c’est une histoire toute simple qui a débuté il y a deux ans. La fille d’un ami qu’elle gardait, Natsumi, s’y est mise après avoir arrêté le judo. Son fils, souvent avec Natsumi et présent sur les terrains le mercredi, a eu envie de l’imiter. Et un jour, alors qu’ils s’amusaient sur le terrain des Kraken, le stade Daniel-Boinet à Péronne (qui n’est d’ailleurs pas exclusivement dédié au club), l’équipe de baseball est arrivée pour son entraînement hebdomadaire. Le déclic a eu lieu. Haydan a commencé. Puis Ilana, très prise par ses activités sur les tatamis, s’est inscrite à son tour, car par chance, les entraînements se déroulaient le jeudi, son seul jour sans judo. « J’ai toujours adoré. Au lycée, je me croyais super forte, alors que ce n’était même pas du baseball, mais de la tech« , confie-t-elle. Déjà enfant, avec son frère Loïc, ils improvisaient des bases et jouaient au baseball.

C’est cette saison qu’elle a rejoint l’équipe, la seule femme du groupe, sans que cela l’empêche de participer aux compétitions. L’entraîneur aime donner du temps de jeu à chacun, mais Ilana ne partage pas totalement cette philosophie. Prête à se sacrifier pour l’équipe, elle lui a dit d’entrée : « Ce n’est pas un problème. Je suis loin d’être la meilleure, ne me fais pas jouer pour me faire plaisir si tu sais que je vais être un boulet pour l’équipe. » Cet esprit de compétition, qui la suit même hors des tatamis, elle ne l’explique pas : « Si je fais quelque chose, c’est à fond. » Elle se dit reconnaissante de découvrir un nouveau monde, tout en ne pouvant se retenir de comparer les deux disciplines. Elle y retrouve des valeurs communes, comme « la combativité » et le fait que ce soit « une école de la vie« . Le judo est un sport individuel où l’on dépend des autres, le baseball un sport collectif où chacun compte. En revanche, elle note des différences frappantes dans l’investissement des villes, notamment dans les équipements : « Ça m’a heurtée. Je me suis dit : mais c’est incroyable, ils n’ont pas de stade !« 

Lectrice de romans policiers et amatrice de voyages, cette Guadeloupéenne née à Nogent-sur-Marne a un caractère bien trempé, hérité de son grand-père, un homme rigoureux et solide, disparu à 97 ans. Elle se souvient encore de ses conseils fermes qui l’ont toujours guidée, elle et sa fratrie : « Marche la tête haute, garde conscience de pourquoi tu fais les choses et ne te mens pas à toi-même. » Les paroles de son « papi » résonnent encore en elle aujourd’hui et lui rappellent l’essentiel : partager avec ses enfants, quelle que soit leur passion.

Interview : Sabine Loeb et Léandre Leber
Rédaction : Sabine Loeb

Crédit photo : Léandre Leber et Kevin Devigne – Gazette Sports

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