PORTRAIT – Séverine Vandenhende, un retour aux sources

De Sydney à Paris, en passant par Athènes ou encore Tokyo, Séverine Vandenhende aura vécu quatre olympiades et glané le titre éternel de championne olympique en 2000. Malgré ses voyages et sa vie francilienne, la Ch’ti aime toujours autant revenir sur ses terres et n’est jamais contre un bel échange sur son parcours de judokate.

Le judoka Makoto Takimoto n’était pas seul au dojo de l’UFR STAPS (l’entraînement du dojo régional étant délocalisé suite à des travaux) car avec lui se trouvait une autre médaillée olympique de Sydney, Séverine Vandenhende. Si lui venait du Japon, elle revenait à ses racines. « Petit retour aux sources. Je suis Ch’ti moi. La brique rouge… Quand je suis arrivée, j’ai fait… Ah, les corons ! C’est toujours agréable, malgré tout, de revenir dans la région », disait-elle fièrement. Car après tout, « dès qu’on passe Paris, à un moment, les briques rouges arrivent, et là, on sait qu’on arrive à la maison, en quelque sorte. » Bien qu’elle soit partie depuis 35 ans, elle ressent toujours ce pincement au cœur en revenant sur ses terres natales.

De retour chez elle, Séverine Vandenhende garde un oeil sur les infrastructures régionales

Sa venue n’était pas juste liée à un soudain manque de bassin minier, mais plutôt parce que la judokate était missionnée par la Fédération française de judo pour évaluer la structure du Pôle Espoir d’Amiens. Bien que le terme évaluer soit « un bien grand mot », elle devait surtout voir les conditions de fonctionnement du pôle pour « apporter une expertise ou un accompagnement particulier pour faciliter. » Car une fédération peut apporter de la « méthodologie de base en termes d’organisation, un soutien, peut-être politique, au niveau régional. […] Et c’est de se dire comment on peut faire en sorte qu’il n’y ait plus ça. C’est parfois plus facile de faire descendre des informations d’en haut que de les faire remonter. »

Concernant les installations amiénoises, Séverine Vandenhende est pleinement convaincue. « C’est magnifique. En termes d’infrastructure, ici, c’est top.«  Avec notamment une superficie de tapis au sol impressionnante, mais qui ne peut malheureusement pas accueillir de compétitions à cause de ces poteaux. « Pour de l’entraînement, ou pour faire des stages (comme celui en présence de Misato Nakamura plus tôt dans l’année), c’est super. » Heureusement, la présence du gymnase des Quatre Chênes, juste à côté, ou encore du Coliseum d’Amiens, un peu plus loin, permet la tenue de compétitions, à l’image de la rencontre de Judo Pro League ou encore du tournoi national label A et excellence junior. Le Pôle excellence d’Amiens a la chance d’avoir un encadrement technique très compétent, mais la structure fait face à un problème courant : comment réussir à mobiliser les jeunes et à les conserver ?

Séverine Vandenhende n’hésite pas à partager ses connaissances avec les plus jeunes

Même au sein des pôles espoirs, laisser partir un membre en direction d’une autre structure fait mal, car il y a une ressemblance avec la relation parent-enfant et surtout l’impression de se faire prendre leurs judokas. Pour la judokate olympique, « il faut réfléchir dans l’autre sens. C’est une étape. Le club sera toujours un club, mais c’est sur le quotidien, pour l’émancipation du membre et sa progression. Le pôle espoir, c’est juste un tremplin. » S’il continue son développement dans cette structure, alors il peut espérer intégrer un pôle excellence. Mais lequel ? Encore une fois, la compétition fait rage pour obtenir les meilleurs éléments et aller chercher les meilleurs résultats. Rien que dans la région des Hauts-de-France, un nouveau dojo vient d’ouvrir ses portes à Verquin.

Pour revenir sur la concurrence entre les pôles et ce que les staffs ressentent au départ d’un athlète, Séverine Vandenhende partage ses souvenirs, à l’époque où elle était sur le national au niveau des juniors : « À un moment, « on me les prenait », pour partir sur des compétitions en senior. Et je me disais : « ils prennent mes meilleurs éléments. À la fois, c’est génial, ça veut dire que les judokas sont au niveau et qu’ils sont sur leur lancée. Il faut enlever ce côté un peu frustrant parce qu’on commence à travailler. Par moments, les gamins restent une année. Ils sont vite happés par la tranche d’âge supérieure. Mais c’est d’être capable de se dire que j’ai fait les bons choix. J’ai recruté les meilleurs. Je leur ai apporté ce que je pouvais, même si je peux encore apporter des choses. Mais pour eux, c’est la progression logique de monter. » Désormais, l’ancienne responsable des juniors au niveau national et entraîneuse de l’équipe de France depuis deux ans, change de poste, sans en dire plus sur son avenir.

Réussir à faire sa place dans un milieu encore trop masculin

En France, la part féminine du judo médaillé est importante. Pourtant, pour la championne olympique, l’évolution peut encore laisser un peu à désirer : « Je ne sais pas si on peut parler de victoire pour moi, c’est tout simplement normal. […] On dit qu’il faut féminiser, mais il y a des choses qui sont aberrantes, ça évolue. Heureusement que ça évolue, mais pas suffisamment vite. » Si on peut constater un désengagement des féminines après le bac dans le milieu sportif, une des grosses avancées récentes est le retour à la compétition après avoir été mère. « Récemment, c’est Clarisse (Agbegnenou, qui a donné naissance à sa fille en 2022 avant de remporter un nouveau championnat du monde en 2023), mais il y a Robert Michon au lancer. De se dire que oui, c’est possible, alors qu’avant, on ne l’imaginait pas. C’était : à un certain âge, j’arrête le sport pour fonder une famille. Sauf qu’aujourd’hui, je peux avoir un bébé et revenir. » Si la Ch’ti souriante est consciente que cela prend du temps, elle ne peut s’empêcher de constater l’impact d’une grossesse et ce qu’un retour peut coûter physiquement, particulièrement dans une discipline violente comme le judo. « C’est un sport où, si ça ne va pas déjà en temps normal quand on est entraîné, quand on n’est pas bien, on se met mal. Sans entraînement, c’est compliqué. À part aller travailler un petit peu sur le travail au sol qui est moins traumatisant. »

Souriante, la Ch’ti est toujours disponible pour échanger

Un autre facteur d’arrêt du sport de haut-niveau est la poursuite d’études. Mener à bien un double projet est quelque chose de complexe, mais, « l’ambition de la fédération est de se dire que c’est possible. Aujourd’hui, on a des filles à l’INSEP qui font des études de dentiste. Cela prend plus de temps, ça demande un investissement qui est très conséquent, mais c’est possible. » Il est à noter qu’en France, un athlète peut demander à doubler des années d’études afin de poursuivre un cursus universitaire.

Paris 2024, une olympiade pas comme les autres

À Paris, lors des Jeux olympiques, les judokas français ont ramené 10 médailles, dont deux en or. La section féminine a ramené cinq médailles de bronze. Un résultat contrasté pour une délégation qui avait beaucoup d’attentes et de pressions : « C’est un bilan qui, à la fois, est super parce qu’il y a six médailles (cinq en individuel et une en mixte) sur huit possibles et à la fois qui est frustrant parce qu’il n’y a pas d’or, hormis celle par équipe. » Pourtant, cela ne s’est pas joué à grand-chose, notamment pour Sarah-Léonie Cysique. La finale se joue à « un doigt dans le kimono. Elle devait être à six minutes de combat. Il y a un passage au sol, il y a de la fatigue. Elle glisse son doigt pour ouvrir et elle prend la troisième pénalité. » Forcément, pour celles ayant échoué aux portes de la finale, cela était un autre élément de motivation pour la compétition en mixte.

Bien que les résultats soient mitigés, ces Jeux de Paris ont marqué Séverine Vandenhende. Si le résultat était très beau, elle appréhendait un peu, elle qui ne connaît que trop bien le fonctionnement de la capitale et l’annonce d’un périmètre de sécurité aurait pu donner un aspect étouffant. Mais ce ne fut pas le cas : « Je me dis quand même, quand je vois le fonctionnement de Paris au quotidien, que ça a été une très belle réussite. Même si je n’ai pas profité pleinement des Jeux étant au cœur de l’activité, mais tous les retours, tous les gens autour, c’était incroyable. »

Championne olympique, un titre éternel glané à Sydney

Obtenir le titre de champion olympique est, pour beaucoup de sportifs, l’aboutissement d’une vie de sacrifices. Surtout, c’est une des compétitions les plus regardées dans le monde. Pour la Nordiste, il n’y a pas photo : « C’est vraiment le graal. C’est vraiment tout. On est championne olympique à vie. » Elle se souvient des années menant à ce tournoi, marqué certes par une médaille d’or, mais également par un petit accident. Désormais, quand on cherche son nom sur internet, en plus de sa page Wikipédia, on peut trouver un article parlant d’une « galette » durant les championnats du monde précédant les Jeux de Sydney. « Ah oui ! Oh la vache (sic), vous êtes durs avec ça », réagissait-elle quand ce sujet était abordé, bien évidemment, avec une pointe d’humour. Alors qu’elle revenait d’une opération au genou, elle retrouvait la compétition avec les Championnats du monde. « Il y a eu un gros stress que je n’ai pas su évacuer et qui s’est transformé en galette (sic) sur le tapis. » Alors qu’elle a l’habitude d’évacuer le stress en discutant ou en rigolant avec ses amis, « la configuration de la salle a fait qu’on était cloisonnés. Je me suis sentie étouffée. » L’accident arriva et, avec celui-ci, une grande violence émotionnelle. Elle ne cache pas qu’elle a failli arrêter le judo suite à cela. « J’avais honte de ce qu’il s’était passé. C’est un sentiment qui n’est vraiment pas facile, parce qu’après tout le monde se fout de toi. Ce n’est pas commun. »

En plus des explications, Séverine Vandenhende montre les gestes justes

Heureusement pour elle et le judo français, Cécile Nowak, également nordiste, championne olympique à Barcelone en 1992 et alors entraîneuse, a su remobiliser la jeune Ch’ti pour aller chercher la qualification olympique. Un an plus tard, en Australie, loin de sa famille, mais avec ses amis, Séverine Vandenhende est allée chercher la plus belle des récompenses. Si le voyage était long, elle avouait avoir dormi tout du long. Elle le résume tout simplement, le sourire aux lèvres : « C’était génial. » Elle n’a pas banalisé cette performance et se souvient de toute cette compétition, et il est vrai que les rappels sont nombreux quand des passionnées la reconnaissent. Alors que de nombreux sportifs peuvent avoir des rituels, ce n’était pas le cas de la Ch’ti. Tout simplement, car elle trouvait cela dangereux et surtout que se passerait-il le jour où elle n’avait pas son petit gris-gris ? Elle préférait maîtriser ce qu’elle pouvait, c’est-à-dire son échauffement. Finalement, elle est retournée sur le territoire australien une dizaine d’années après son sacre. Un sentiment bizarre, « parce que les choses évoluent aussi, et malgré tout, il reste une trace des jeux. »

La formation et les sacrifices

Pour réaliser une carrière de sportif de haut niveau, il faut, assez souvent, sacrifier des choses. Sans partir dans des rituels obscurs, on peut sacrifier du temps avec ses amis, sa famille ou encore du temps de repos. Pourtant, quand on demandait à Séverine si cela valait le coup, elle répondait instantanément : « Si c’était à refaire, moi je referais. Il y a des fois où on partait en stage et on allait boire du rhum, par exemple. Moi, c’était une eau gazeuse, et à 21 h, c’était bonne soirée les copines. Je rentre. Des années plus tard, je me dis que j’ai eu raison de faire ça. » De plus, pour réussir à l’échelon le plus compétitif de son sport, deux choses sont obligatoires : l’humilité et l’abnégation. Il faut réussir à se faire violence quand l’envie n’est pas là. Mais pourtant, réussir à prendre du temps de repos est également important, plus particulièrement pour se vider la tête. Hélas, sur les catégories de jeunes, il arrive que ce ne soit pas forcément le projet de l’enfant, mais plutôt celui des parents. « C’est souvent là qu’on a tendance à perdre les gens », ajoute la Nordiste.

Il n’y a pas que le judo dans la vie

Séverine Vandenhende

Dans le milieu du sport de haut niveau, on constate une hausse des coachs mentaux. Un rôle extrêmement important, quand on évolue dans des tournois avec l’objectif d’être champion national, mondial ou encore olympique. Cependant, auprès de collégiens ou de lycéens, l’utilité ne s’avère pas toujours bonne. Pour des adolescents, le travail est quotidien et à travers le discours des éducateurs. Et si un problème arrive à être ciblé, alors un accompagnement par un professionnel est extrêmement positif. Hélas, créer un besoin dès cet âge peut être néfaste pour le judoka. Séverine Vandenhende ne cache pas que les avis sont « partagés » et considère que les jeunes doivent « faire un volume de judo, de la prépa physique. Il faut se concentrer sur ce développement, sur les qualités techniques. » Il ne faut pas brûler les étapes. Malheureusement, elle a pu observer des demandes qui ne sont pas en adéquation avec les niveaux de pratique : « Nous, on a envie de bien faire et de les mettre dans les meilleures conditions, et, à la fois, ils ont, parfois, des exigences qui ne sont pas à la hauteur de leur niveau. »

La vie après la compétition

Souvent, après une carrière dans une discipline, les combattants décident d’en découvrir une nouvelle, mais ce n’était pas le cas pour la championne olympique. À peine la question posée, elle répondait : « Non, sincèrement, non. » Déjà, car sur les disciplines autres que le judo, les coups reçus sont nombreux et « en prendre plein la gueule, c’est dur. » Elle a eu la chance de ne jamais ressentir ce besoin de retourner au haut niveau et aux exigences qui vont de pair.

Maintenant, comme elle le dit si bien, « il n’y a pas que le judo dans la vie. » Car entre ses amis, son amour des animaux, de la nature, ainsi que le jardinage, Séverine Vandenhende se sent « bien, dehors, au milieu des arbres ». Avec plein de choses à faire, elle profite pleinement de son temps et se ressource dans les Hauts-de-France.

Rédaction : Cyprien Baude
Interview : Léandre Leber
Crédit photo : Théo Bégler – Gazettesports.fr

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