ARBITRAGE – Théo Boucher : « Je ne suis pas le seul »
Le jeune arbitre de football de 18 ans, agressé dans la Somme le 2 avril 2022, continue d’exercer cette saison, non sans craintes.
Théo Boucher avait été giflé par la mère d’un joueur qu’il avait expulsé pour des propos insultants, lors d’un match entre le RC Salouël-Saleux et Albert en U17 District. Le frère du joueur l’avait ensuite projeté au sol puis frappé. La mère a été condamnée à trois mois de prison avec sursis. L’autre agresseur est interdit d’enceinte sportive pendant un an et doit suivre un stage de citoyenneté. Pour marquer le coup, le District de la Somme avait décrété le week-end du 9 avril sans foot. Et Théo Boucher avait repris le sifflet dès la semaine suivante.
Appréhendiez-vous ce début de saison ?
Quand j’ai repris après mon agression, j’ai eu droit à des haies d’honneur, ça m’a remis dans le bain, je me suis senti soutenu. J’ai entendu les délégués de terrain demander aux spectateurs qui me critiquaient de se taire. J’ai tout de suite vu que les clubs ne voulaient pas que ça se reproduise, ça m’a beaucoup plu. Là, sur la reprise de la saison, c’est totalement différent. On sait que les quatre premières journées sont les plus difficiles parce qu’il faut remettre les joueurs dans le bain. Ils nous testent pour voir si les arbitres sont compétents et nous aussi on est à l’affût parce que c’est là où on doit les recadrer, pour que ça ne se répercute pas sur la suite de la saison.
Avez-vous des souvenirs précis de votre agression ?
Oui je m’en souviens encore. C’était la première fois que j’étais désigné sur un match U17, j’étais content. Mes parents étaient là, j’avais demandé à ma mère de prendre des photos et dans l’ironie je lui ai dit : « si je me fais agresser, prends moi en vidéo. » Malheureusement, c’est ce qu’il s’est passé. Je n’ai pas arrêté pour ne pas donner raison à mes agresseurs. Je voulais reprendre dès le week-end suivant, mais il y a eu une mobilisation générale et mes journées d’ITT me l’interdisaient.
Je ne suis pas le seul : après moi, d’autres arbitres se sont fait agresser. Quand est-ce que ça s’arrête ? On est passionné, on arbitre parce qu’on a envie, c’est mon truc, le week-end, c’est ce que j’aime. En plus, les clubs ont besoin d’arbitres, sinon il n’y a plus de football. Cet été, des arbitres ont arrêté parce que les menaces chaque week-end, les agressions verbales, physiques parfois, à un moment donné, ils n’en peuvent plus ! Ça, les gens ne le comprennent pas. Ils pensent qu’on doit être parfaits, avoir une vision à 360°. On n’est pas des robots.
Que pensez-vous des répercussions de l’affaire ?
Le jugement a été très rapide, deux mois après seulement. C’est une chance. J’ai eu le soutien de l’opinion publique, ce n’est pas négligeable. Le coup médiatique a pris de l’ampleur puisque c’est allé jusqu’en Belgique.
Comment avez-vous vécu cette mise en lumière ?
Au début, je ne réalisais pas. Je me faisais appeler de partout. Parfois, je ne répondais pas parce que recevoir des appels toutes les dix minutes des médias, ça devenait ingérable… Et rappeler l’histoire sans cesse, je trouvais ça très agaçant. Je me suis quand même prêté au jeu parce qu’avec l’UNAF, on voulait qu’il y ait une prise de conscience.
Quand on sort un carton rouge, il y a toujours une petite boule au ventre.
Depuis, avez-vous eu la sensation de perdre le contrôle d’un match ?
Oui, sur un SC Abbeville – Avion (3-4) en U14, le 24 septembre. J’étais en-dedans, parce que le terrain n’était pas conforme pour moi et j’y pensais pendant la rencontre. À la fin du match, c’était horrible avec les parents, j’ai demandé au délégué de terrain de me raccompagner au vestiaire. C’est le premier match depuis mon agression où j’ai eu vraiment peur. Je n’en pouvais plus des insultes, j’ai hésité à arrêter le match, j’avais peur pour ma sécurité.
Comment faites-vous pour encaisser les insultes ?
L’arbitre doit avoir un sang-froid exemplaire. Quand vous êtes dans votre match, vous n’entendez pas ce qu’il se passe derrière la main courante, vous êtes dans votre bulle. Si on les entend, c’est qu’il y a un petit souci.
Quelle est la décision la plus difficile à prendre ?
Quand on sort un carton rouge, il y a toujours une petite boule au ventre. Il y a une appréhension de la réaction des joueurs et surtout de l’environnement à côté, d’autant plus quand c’est l’équipe locale.
Vous êtes-vous déjà retenu d’en mettre ?
Non. Dès mon premier match, j’ai dû le faire. L’équipe perdante était frustrée et un joueur a rejeté la faute sur son coéquipier, l’a mis à terre et a commencé à le frapper. À mon deuxième match, j’ai dû ressortir un rouge, pour des insultes. J’ai toujours sanctionné quand il fallait et je ne prends pas ça à la légère, je suis pédagogue. On me dit souvent que j’arbitre à l’anglaise.
Est-ce difficile d’imposer son autorité quand on est jeune arbitre ?
Oui, surtout avec les jeunes, car il y a des parents derrière. Ils n’aiment pas voir un jeune de 18 ans prendre le dessus sur leurs enfants. Quand on arbitre des jeunes de notre âge, ils vont nous tester et c’est encore pire pour des arbitres féminines avec des garçons.
Julien Benesteau
Crédit photos : Kevin Devigne – Gazette Sports