INTERNATIONAL : Restée en Ukraine, une badiste remercie « ceux qui croient en notre pays »

Olya Sutula, Ukrainienne, s’est entraînée à plusieurs reprises à l’AUC, dans le cadre des journées de championnat. Elle évoque pour nous ce que l’invasion russe engendre dans le sport et dans sa vie quotidienne.

Après deux saisons au Laon Badminton Club, Olya est devenu ma coéquipière, durant une toute petite saison. À plusieurs reprises, nous nous sommes retrouvées dans le cadre des journées de championnat. Malgré les courtes allées et venues, cela ne nous empêchait pas de profiter des moments en dehors des terrains. Aussi à l’aide d’autres AUCistes comme Laurent, Yvon, Wilfried, elle aura, durant cette saison sportive, découvert Paris, Amiens ou encore la baie de Somme ainsi que la culture et la gastronomie française. Certes de courts séjours, mais qui lui ont permis de découvrir un peu plus la France.

Durant cette saison, nous avons souvent parlé badminton puisque au-delà d’être joueuse, Olya est aussi coach et a donc fait de la discipline son métier. Mais au travers de nos conversations, nous avons également pu évoquer nos cultures, nos modes de vie, ou même nos parcours tout simplement. Je l’avais questionnée sur ce qu’il s’était passé en Crimée en 2014, je me souviens du ton grave et du sérieux avec lequel elle m’avait répondu.

À la suite des derniers événements, j’ai repris contact avec Olya, parce que la situation s’est envenimée et que la guerre était littéralement « à sa porte », à Kharkiv. Quand je l’ai questionnée au lendemain du 24 février 2022, pour savoir ce qu’il se passait chez elle, elle m’évoquait « des opérations militaires en cours », tout en me précisant « pour le moment ici c’est calme, mais nous entendons des tirs dans le quartier et hier il y en a eu dans la ville. Il y a aussi eu des bombardements. » Olya et sa famille ont fait le choix de rester chez eux, là où, aux informations, nous voyons des milliers d’ukrainiens rejoindre des abris en sous-sol comme les couloirs du métro. Mais pour eux il est désormais « trop difficile de quitter la ville, à cause des bombardements ».

Dans ce contexte plus qu’angoissant, l’une de mes premières questions était de savoir si elle arrivait à dormir la nuit : « le sommeil est moyen, on s’endort quand on veut vraiment dormir, mais on se réveille à chaque bruit… Ils touchent des civils et des bombardements ont lieu sur des maisons… ».

L’aggravation d’une situation déjà tendue

Sur l’historique de la situation, avec les conflits en Crimée et dans le Donbass, les relations russo-ukrainiennes étaient déjà compliquées, et les habitants étaient déjà impactés depuis 2014 par ce contexte de tensions, mais aujourd’hui Vladimir Poutine a franchi une autre étape en menant cette guerre en Ukraine. « Poutine est un agresseur, il a attaqué l’Ukraine. Il a débuté cette guerre il y a 8 ans, mais personne n’y croyait vraiment. Aujourd’hui il montre son vrai visage. » Un contexte politique et à la fois personnel compliqués pour Olya. En effet, ses grands-parents ont vécu toute leur vie en Russie, ses parents également mais ils ont finalement rejoint l’Ukraine « il y a longtemps ». Pour elle, « c’est douloureux de voir ses proches croire fermement ce qu’ils voient à la télévision, sans s’interroger sur le fait que ce n’est pas forcément la vérité ». Là où certains pensent s’informer officiellement, Olya y déplore de la propagande. Une construction politique et une information maîtrisée dans le camp russe, où la peur et la dissuasion sont les maîtres mots pour éviter tout débordement.

La ville de Kharkiv, déjà assiégée, au 1er mars, voit sa situation envenimée avec le bombardement du bâtiment de l’administration régionale de Kharkiv. Ce palais qui avait résisté à la Seconde Guerre mondiale, est visé par deux fois. C’était le lieu central pour l’organisation de la protection des civils… Ce jour-là, Olya partage une story sur cette attaque, je l’interroge sur ce qu’il se passe, elle réagit : « Les informations Russes disent qu’ils veulent nous sauver des autorités ukrainiennes, voilà comment ils nous sauvent, en bombardant des civils ! ».

« Merci à ceux qui croient en notre pays »

Olya Sutula

Dès les premiers jours, et au regard des nombreuses réactions politiques internationales, je lui avais demandé si en tant qu’Ukrainienne elle se sentait soutenue par les autres pays, elle me répond naturellement : « oui, bien sûr ! Dans de nombreux pays il y a des actions de soutien pacifiques, et les dirigeants aident l’Ukraine. C’est très encourageant, merci à ceux qui croient en notre pays»

Au 8 mars, Olya et ses proches ont finalement pu quitter Kharkiv pour une autre ville où, en comparaison, la situation est « plus calme et plus sûre ». C’était devenu trop dangereux «  ils ont commencé à bombarder Kharkiv avec une certaine furie, il y avait aussi des roquettes et des bombes à fragmentation ».

Une situation difficilement imaginable

Je lui évoque le fait qu’il est difficile pour nous d’imaginer ce que le peuple ukrainien vit actuellement, certes, nous voyons chaque jour des images de ce qu’il se passe dans le pays mais nous ne savons pas comment nous réagirions dans ce contexte de guerre. Personne n’imagine avoir à quitter sa maison ou sa ville, tout en étant sous le feu des tirs et des bombardements ennemis. Elle m’évoque ainsi « je ne souhaite cela à personne, c’est effrayant d’entendre des explosions, d’avoir un avion de combat au-dessus de nos têtes et de ne pas savoir où va tomber la roquette… Personne ne doit vivre ça, et nous ne pensions pas qu’une telle guerre pouvait débuter au 21ème siècle quand même… ». Aujourd’hui son quotidien a changé « Même si ici c’est plus calme, je me réveille toujours tôt, et je consulte les informations tout de suite, pour voir les nouvelles et si une bombe n’est pas tombée sur notre maison. »

Olya a vu son père et son beau-frère rejoindre les rangs de la « défense ukrainienne », une obligation pour eux après l’appel à la mobilisation générale, mais le peuple ukrainien montre avec conviction son patriotisme et la volonté de défendre son pays face à cette attaque. Même s’ils sont tenus par le secret militaire et par les opérations en cours, ils arrivent à se donner des nouvelles régulièrement : « on s’appelle, on s’écrit tous les jours ».

La joueuse de badminton demeure au fait de ce qu’il se passe ou ne se passe pas en Russie. Pour elle « beaucoup de Russes ne comprennent pas ce qu’il se passe ici, ou ne veulent pas le comprendre ou y croire, c’est très triste. Le peuple russe doit se soulever, comme nous l’avons fait en Ukraine en 2014 et ça fonctionnera. » (ndlr : le départ de Viktor Ianoukovytch).

Malgré le contexte, Olya demeure optimiste, elle espère « que tout ira bien, que tout le monde retrouve une vie normale rapidement, avec la possibilité de pratiquer de nouveau le badminton. »

Dorine COCAGNE
Crédit photo : Léandre LEBER pour Gazette Sports

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